Les magistrats ont très mal choisi la période pour se mettre en grève en vue de revendications qui ne peuvent être satisfaites du jour au lendemain par un coup de baguette magique. Certes elles sont, pour la plupart légitimes, les magistrats devant bénéficier des garanties nécessaires à assurer la continuité du service public de la justice, dont des revenus suffisants à leur permettre une vie digne, afin de rendre la justice de manière sereine et impartiale. Il va sans dire également, qu'ils ne doivent subir aucun autre ascendant que la loi, afin que leurs jugements émanant de leur intime conviction, ne soient pas entachés d'un quelconque parti pris. Toutefois, les magistrats sont passés par des périodes sombres au cours de l'ancien régime, durant lequel ils n'avaient fait que subir l'ascendant de l'exécutif, qui pendait sur leur tête comme une épée de Damoclès. La justice était donc entachée de vicissitudes telles qu'on ne pouvait aucunement parler de pouvoir judiciaire car celui-ci était largement englouti par un exécutif insensible aux droits et aux libertés, pourtant garantis par la Constitution de 1959. Les juges n'étaient pas, comme le disait Montesquieu « la bouche de la loi », mais plutôt celle du régime en place. A cette époque les tentatives de dénonciations et de revendications de la part de certains magistrats étaient vaines, car elles étaient très mal prises et violemment vilipendées par les autorités en place. Les juges qui avaient essayé d'insister lourdement au cours d'une tentative de grève durant les années quatre-vingt du siècle dernier, ont été sanctionnés par des mutations à titre disciplinaire, voire par des révocations. Certains autres, à l'instar du juge feu Mokhtar Yahyaoui ont subi les pires des exactions. L'indépendance de la magistrature en question Depuis 2011, la réforme de la justice était parmi les priorités destinées à préserver les droits et les libertés publiques. L'indépendance de la magistrature, pierre angulaire du pouvoir judicaire, n'a cessé de préoccuper toutes les parties prenantes, contribuant à la consolidation d'une justice équitable et digne d'un régime démocratique, dont notamment les organisations tendant à la défense des acquis de la profession. Parmi ces organisations il y a l'Association des magistrats tunisiens (AMT) et le syndicat des magistrats tunisiens (SMT). L'AMT était créée en 1945 sous le nom de l'Amicale des magistrats tunisiens. Elle avait rencontré quelques réticences sous le régime colonial avant d'obtenir le visa de son statut déposé en 1946. Elle avait de prime abord manifesté son opposition à l'ingérence du régime colonial dans la magistrature pour laquelle elle demandait l'égalité de traitement entre tous les juges tunisiens et français siégeant à l'époque, aux tribunaux tunisiens. Ce n'est qu'en février 1990, et après tant de péripéties au cours desquelles plusieurs magistrats ont été traqués, pour des revendications professionnelles pourtant légitimes, qu'elle a pris le nom d'association des magistrats tunisiens (AMT). Quant au syndicat il n'a pu émerger qu'après 2010, pour consolider davantage la défense de la profession et soutenir les revendications du corps de la magistrature en tant qu'entité essentielle sur laquelle repose le pouvoir judiciaire. Seulement les relations entre ces deux organisations étaient plus ou moins en dents de scie, et certains magistrats, ont cette conviction que le SMT n'était pas trop vindicatif par rapport à l'AMT. Organes de justice : complémentarité ou rivalité ? On pourrait être enclin à se poser la question, si on regarde de près l'action du SMT qui semblait ne pas trop suivre l'AMT dans son mouvement, dans la plupart des cas. D'ailleurs à un moment donné, et depuis que sa présidente Raoudha Labidi a été désignée à la tête de l'instance nationale de lutte contre la traite des personnes, l'action du SMT a été quelque peu modérée. Cela dit sa présidente Amira Omri, a été reçue auparavant par l'actuel ministre qui lui a promis monts et merveilles. Hélas ce n'était que des promesses sans suite. Il n'en reste pas moins qu'entre temps, elle a fait des déclarations à la presse pour dire que la situation du pouvoir judiciaire allait évoluer dans le bon sens et qu'il faut être plutôt optimisme sur le sort du pouvoir judiciaire. La goutte qui a fait déborder le vase et fait éclater, par là-même, la vérité, sur la situation catastrophique dans les tribunaux, était suite aux décès des trois juges qui ont été contaminés par le virus. C'est là que le mouvement de grève décidé par l'AMT d'abord a été suivi par le syndicat. Revendications légitimes et attitudes corporatistes Toutefois, dans ces revendications qui étaient du reste légitimes, les deux organisations ont été quelque peu gauches et partiaux, ce qui a nui à tout le secteur de la justice ainsi qu'aux justiciables auxquels ils n'ont nullement pensé. En effet, ces revendications ont pris un aspect corporatiste, sans possibilité de concertation avec toutes les parties prenantes, afin de rassembler les points de vue. Evidemment, si chacun reste sur sa position, cela engendre alors la catastrophe, et c'est ce qui a abouti carrément à la déliquescence du service public de la justice. Aucune de ces deux organisations n'a pensé aux intérêts des justiciables qui n'ont pu recouvrer leurs droits, à cause d'une grève qui n'a fait que se prolonger depuis un mois. Ils n'ont pas pensé au service public de la justice en tant qu'entité, comportant également les agents de justice dont les greffiers, garants de la procédure, étant appelés à contrôler sa régularité dans tous les tribunaux et auprès de toutes les instances. Ces greffiers sont d'ailleurs actuellement en grève, ce qui paralyse encore plus les tribunaux. Les magistrats ont pensé surtout à leur situation au détriment de tout le reste. En outre les deux organisations trouvent le moyen de créer des litiges et des tensions entre eux, ce qui a aggravé la situation. Au lieu de se concerter entre elles, ces organisations ont préféré agir chacune de son côté auprès du législatif ou de l'exécutif. En effet l'AMT a rencontré le chef de l'Assemblée des représentants du peuples, qui les a éconduits comme il a l'habitude de faire avec les mêmes propos qu'il utilise pour s'en tirer, et tirer ultérieurement son épingle du jeu. Le SMT a pour sa part, rencontré le ministre de la justice, qui n'a pas apprécié, semble-t-il, le fait que les juges demande des augmentations de salaire alors, dit-il, « qu'ils sont les mieux payés parmi les fonctionnaires de l'Etat ». Or ce que les juges revendiquent c'est l'application des normes internationales que ce soit par rapport aux salaires ou aux autres avantages. D'autant plus qu'ils dépendent d'un statut particulier de la fonction publique. Brouille et paralysie du service public Récemment, face à un service de justice complétement paralysé, le président de l'AMT, déclare qu'il a obtenu un accord de la part du gouvernement avec 10 points pour améliorer la situation dans ce service. Les médias le montrent exhibant un document, mais sans en connaître ni le contenu ni la finalité. Et c'est sur cette base qu'il déclare mettre fin à la grève. Hélas ce ne sont que des paroles, car le SMT, s'y oppose, pour la bonne raison dit-il qu'il n'a pas été partie à la discussion avec le gouvernement. En attendant, le citoyen attend, coi et déboussolé de ce qu'il va advenir de cette situation qui se gâte de plus en plus dans tous les secteurs de l'Etat. Cela donne l'occasion du prolongement de la corruption qui a atteint même les hauts cadres de l'Etat et de la recrudescence du terrorisme dont les auteurs profitent d'une absence totale de l'Etat de droit. Le service de la justice est un et unique et ne doit pas subir les caprices des uns, et les lubies des autres, pour aboutir à une situation dans laquelle, la justice est altérée et les justiciables sont tenus en otage par les garants des droits et des libertés. Y-a-t-il une situation plus préoccupante que celle que nous vivons aujourd'hui ? A.N.