Flottements, dissonances et, en sous-main, des conflits d'intérêts. Fête fardée d'une décennie de révolution : en fait, personne n'y croit plus. En dehors, bien sûr, de Rached Ghannouchi qui déclare avec effronterie que « La Tunisie est sur la bonne voie ». En tous les cas, il n'est pas en symbiose avec Noureddine Taboubi qui, lui en revanche, jette l'anathème sur ceux qui nous gouvernent. Et il lâche la formule assassine : « Ceux qui nous gouvernent sont animés par la politique du butin ». Du coup, on s'arrange de sorte à ne voir que le côté plein du verre : « la révolution a redonné ses libertés au peuple et sa liberté d'expression ». Qu'a fait le peuple de cette dormeuse ? Elle ne lui aura servi à rien, sinon qu'à déchanter, qu'à constater amèrement que son fantastique sursaut du 14 janvier a été détourné de ses objectifs. Et de ses fondements. A qui la faute ? Au butin de guerre pardi ! L'éternel système mafieux et l'Etat profon d On n'en est plus à discuter de la nature hybride du régime politique. Ce serait pures redondances. Parce qu'en plus, le peuple attendait quelque chose d'autre. S'il a chassé Ben Ali, ce n'était pas à cause du régime. Mais à cause de son système mafieux. En un tournemain, l'habileté de ceux qui lui ont spolié « sa révolution » aura vite fait de remplacer un système mafieux par un autre. C'est ça le butin de guerre. Quelque chose qui se banalise, alors que le gouvernance flotte avec une funeste pléthore de gouvernements en dix ans. A chaque Chef du gouvernement ses objectifs, ses techniques, mais aucun d'eux n'a pu prétendre à une quelconque souveraineté dans ses choix. Et hop ! ils passent systématiquement à la moulinette. Une démocratie qui génère autant d'instabilités gouvernementales, n'en est pas une. Quand la transparence donne le change au clientélisme occulte, cela veut dire que c'est l'Etat profond qui détient les leviers de la gouvernance, et cela fait que la gouvernance devient débauchée, libertaire et qu'elle ne réponde plus aux normes conventionnelles. Mal partie, cette révolution est, dix ans après, mal barrée. Ce confinement général biscornu de quatre jours aura eu au moins le mérite, hormis les discordances criardes entre politiques et scientifiques, d'interdire les manifestations et d'empêcher les célébrations en masse de « dix ans de révolution » parce qu'elles auraient fatalement tourné à la contestation et aux affrontements. Discordances entre politiques et scientifiques ? Elles sont criardes, et surtout au niveau des résolutions prises pour faire face à la courbe toujours en hausse des contaminations et des décès. Les langues se délient en effet. Hechmi Louzir déclare ouvertement qu'un confinement général d'au moins trois semaines –et encore ! - aurait été autrement plus efficace, surtout que des pays largement plus outillés que le nôtre y ont opté. Nissaf Ben Alaya qui s'était complu dans son rôle de vedette lors de la première vague, opère un revirement à 180 degrés : la veille elle disait que le confinement général accentuerait la chaîne de transmission du virus dans les foyers. Le jour de cette fameuse conférence de presse donnée par un ministre de la Santé désespéré et comme abattu, elle intervenait pour cautionner la décision gouvernementale. C'est-à-dire, la décision politique, et l'on sait que, souvent, les décisions politiques (avec leurs contraintes économiques) battent en brèche les visions scientifiques. Il faudra attendre globalement jusqu'au 24 janvier prochain pour en établir le bilan. D'ici là, il y aura peut-être le remaniement. Mais il est sûr que le comité scientifique anti-Covid-comité luimême manquant d'homogénéité- n'a vraiment plus de prise sur la situation. Et si l'on remontait jusqu'à Fakhfakh ? Voilà ce que nous récoltons du triomphalisme de la première vague : « nous avons battu la pandémie ! ». Une attitude endémique au cocu magnifique. Il est néanmoins étonnant que Haykal Mekki, un député de première ligne d'Echaâb et du Bloc démocrate, avance un éventail de chiffres comparés de l'épidémie, glorifiant la maestria d'Elyès Fakhfakh en opposition aux atermoiements de Hichem Méchichi. (NDLR : au plateau de le chaîne 9). Fallacieux comme raisonnement et résolument partisan. C'est bien Elyès Fakhfakh qui a rouvert les frontières et donné libre-cours aux cérémonials estivaux. Il est vrai que nous n'étions pas les seuls à y avoir opté. Il est tout aussi vrai que le confinement général avait affamé des pans entiers de la population. Mais il y a eu aussi un grand dysfonctionnement dans les mécanismes d'aides à ceux qui se sont retrouvés en chômage technique et aux classes démunies. La réouverture des frontières a-t-elle par ailleurs profité au secteur du tourisme ? Non. Les chiffres sont là. Les banques ontelles consenti les prêts décidés par le gouvernement au profit des unités hôtelières déjà jugées pas très fiables et classés « catégorie D » par la Banque Centrale ? Elles en ont consenti très peu, sachant que l'enveloppe globale prévue par le gouvernement Fakhfakh était formellement de 500 millions de dinars. Les banques ontelles, par ailleurs, servi les micro-crédits pour se relancer et se mettre à leurs comptes, après avoir perdu leurs emplois ? Pas un sou. Parce que Fakhfakh rechignait à consentir la caution de l'Etat. La grande bévue, plutôt la politique de la terre brûlée adoptée de manière épidermique par Fakhfakh aura tout fait capoter. Le Président lui a demandé de démissionner et, dans son esprit, c'était Nizar Yaïche qui devait lui succéder. Cela aurait favorisé la continuité de la gouvernance. Que fait Fakhfakh ? Il limoge sept ministres nahdhaouis. Dont, justement Abdellatif Mekki qui tenait bien la barre, et Ridha Zitoun qui était en plein élan dans la réforme des collectivités locales. Les coups de boutoirs d'Ennahdha aidant- elle revendiquait des portefeuilles pour Qalb Tounes- Fakhfakh aura déstructuré le gouvernement et interrompu un processus de gouvernance qui avait de bonnes chances d'aboutir sur le moyen terme. Et alors, que pouvait corriger Méchichi en quatre mois ? Peut-être aussi que son option tenant à un gouvernement de technocrates était fausse. Tiens-t-il en mains ce gouvernement ? S'il consent à un remaniement, c'est qu'il découvre que la cohésion gouvernementale n'existe pas. Entre listes fuitées des nominations opérées à son insu par le ministre (limogé) de l'Intérieur, entre « les sorties » du ministre (limogé lui aussi) de la Culture et le pot aux roses découvert avec le ministre de l'Environnement (limogé puis incarcéré) et les injonctions du Président et le jeu de Ghannouchi, nous ne sommes plus dans les conflits institutionnels et qui profitent toujours (une condamnation de l'Histoire) à ce même Ghannouchi. Nous sommes en pleine crise de gouvernance. Au point qu'aujourd'hui, un ministère des Sports et supplanté par une fédération de football dont le Président Wadii el Jeri défie toutes les institutions de l'Etat. Ce qui s'est passé avec le public du Club Africain représente une autre bombe à retardements. Méchichi saura-t-il désamorcer les bombes déjà programmées, partout, pour tout faire voler en éclats ? C'est son destin. R.K.