La prédilection des Japonais pour les modèles miniaturisés semble avoir contaminé les pâtissiers tunisiens qui réduisent chaque jour un peu plus la taille de leurs pièces et tranches de gâteaux. Qui sait si un jour, ils ne nous vendraient pas des petits cubes de mille-feuilles, des pâtes d'amande en miniatures et des éclairs microscopiques. En tout cas, pour les pâtisseries de l'Aïd, ces artisans se sont déjà mis à l'heure de l'infiniment petit. C'est surtout leur "baklawa" qui perd le plus de poids et se rétrécit davantage que tout le reste. Non seulement les clients ne sont jamais sûrs des ingrédients dont elle est farcie, mais la pièce la plus grosse pèse à peine dix grammes et il en faut plus de 5 ou 6 pour remplir une très fine bouche. On les consommerait bien avec des cure-dents comme s'il s'agissait de carrés de salami ou de petites olives. Le "maqroudh" lui aussi mincit considérablement chez tous nos marchands de sucreries. Certaines variétés cylindriques sont d'ailleurs si menues qu'on les emballe à l'aide d'une petite pelle en plastique. Quant à la pâte de dattes dont les pièces sont fourrées, elle est à peine visible à l'œil nu. Mais dans la bouche, vous n'en percevez presque pas le goût. En ce qui concerne les languettes biscuitées, il faut toujours les exposer à l'abri des brises les plus douces ; elles sont en effet si légères et si creuses de l'intérieur qu'elles s'envoleraient au moindre souffle d'air ! Pour ce qui est des bouts de "ghraiba" exposés dans les vitrines et sur les présentoirs ou bien à l'air ambiant, ils prennent de plus en plus la forme fluette des filtres de cigarettes pour femmes. Et il y a fort à parier qu'ils sont confectionnés avec la plus infime quantité possible de farine de pois chiches. Les anneaux amandés ne sont plus tout à fait ronds et leur farce s'est volatilisée. Quant à l'œil de bœuf enrobé de pépites de n'importe quoi, il rappelle tout juste les yeux à demi clos du poussin. Les boulettes sont plus saupoudrées de farine de sucre que vraiment sucrées et elles ont la circonférence d'un minuscule raisin sec. Les "oreillettes de cadi" évoqueront bientôt des pièces de 20 millimes passées sous les roues d'un train.
Formes plus raffinées Interrogée sur cet engouement pour l'infinitésimal, Mme Rabâa (pâtissière tunisoise) n'y voit que des bienfaits sur la santé du consommateur : " De la sorte, explique-t-elle, les gens réduiraient les risques et les taux de diabète. D'autre part, et d'un point de vue esthétique, les petites pièces ont aujourd'hui la cote auprès des clients raffinés. En pâtisserie, grosse forme est souvent synonyme de mauvais goût ou de goinfrerie. Ce ne sont pas les dépenses qui nous font peur mais nous craignons de perdre la clientèle citadine de plus en plus rebutée par les tailles grossières et qui recherche les modèles miniaturisés en tout. N'oubliez pas non plus que nos matières premières coûtent toujours plus cher et nous n'utilisons pas tous la farine subventionnée ; et puis un gâteau, ça ne se fait pas qu'avec cet ingrédient. Nous nous trouvons forcés de réduire toutes les quantités pour rentrer dans nos frais et réaliser quelque bénéfice quand même. Mais je vous dirai que le plus important dans notre métier et qui rapporte clients et gains conséquents, c'est la qualité de la marchandise. Pour beaucoup de gens, la taille du gâteau et le prix à payer importent peu si la bonne et authentique saveur suit. Sur ce plan, je peux affirmer que sur l'ensemble du territoire tunisien, il y a à peine 5 pâtisseries vraiment haut-de gamme. Sinon, c'est la qualité moyenne ou franchement médiocre qui prévaut un peu partout. Faîtes attention aussi aux tarifs élevés, ce sont des attrape-nigauds parmi les plus répandus notamment dans les quartiers soi-disant riches. "
Pour une meilleure conservation Am Ali vend lui aussi des gâteaux traditionnels mais dans une zone plus populaire de Tunis ; il avance pour sa part d'autres arguments qui justifient la taille réduite des pièces exposées : " Ecoutez, le client de 2009 est difficile à satisfaire. Quand vous faites dans le gros, il recherche le minuscule et lorsque vous optez pour le minimal, il se prend de nostalgie pour les tailles maximales. Je dois tout de même reconnaître que, dans ma boutique, ce sont les pâtisseries en menus morceaux qui se vendent le mieux. Mes deux filles qui ont fait des études dans le domaine et qui travaillent dans mon atelier affirment que ça se conserve plus longtemps. Elles disent aussi que cela donne l'impression au client que le poids qui lui est servi est plus consistant que si c'était en grosses pièces. Il paraît d'un autre côté que, dans les réceptions ou à l'occasion d'un mariage, ça imposerait aux invités de se retenir en se servant ; le maître de céans aurait ainsi plus de chances de faire des économies sur ce genre de dépenses. Je ne dirai pas que l'option du minimal ne rapporte rien au commerçant, mais quand celui-ci triche une fois ou deux, il a déjà perdu la moitié de ses clients. Faire dans l'infinitésimal doit au contraire inciter à un meilleur dosage des ingrédients. Et c'est tant mieux si par ailleurs cela profite à la santé du consommateur."