En cette année 2009, un peu plus de 80% des ménages vivent dans leurs propres habitations. Ce chiffre peut étonner plus d'un en raison du nombre toujours croissant des locataires dans les zones urbaines. Les jeunes couples font partie de ces demandeurs de logements qui n'ont pas encore les moyens de s'approprier ni de construire une maison. Cependant, certains d'entre eux trouvent vite la parade et donc le moyen d'épargner le loyer de plusieurs années qu'ils consacrent à d'autres dépenses familiales. Leur solution consiste, si l'espace le permet bien évidemment, à habiter chez les parents de l'un d'eux pour une période plus ou moins longue et parfois pour toute leur vie. Sinon, ils font tout pour que ces derniers consentent à la construction sur leur toit d'un premier puis d'un deuxième et troisième étages. En fait, dans certains cas, ce sont les vieux eux-mêmes qui en font la proposition à leurs enfants.
C'est ce qui fait qu'aujourd'hui, de nombreuses maisons à étages (de vrais immeubles parfois) abritent plus de deux ou trois couples de la même famille. Le rez-de-chaussée est le plus souvent occupé par les parents tandis que les étages accueillent les jeunes couples. Les premiers contribuent d'ailleurs par l'argent ou la disponibilité à la construction du logement. En effet, s'ils ne financent pas une partie du chantier, ils y supervisent quotidiennement le travail des ouvriers jusqu'à son achèvement.
Le retour de l'enfant prodigue C'est pour eux une autre manière de reprendre le commandement au sein de la famille et d'y ressouder les liens que la nouvelle vie a affaiblis ou brisés. Le père de Rehayem est un ancien maçon. Voyant que son fils aîné peine à supporter le loyer de son appartement d'El Mourouj, il propose à ce dernier de venir habiter chez lui au moins jusqu'à ce qu'il s'acquitte de toutes ses dettes de mariage. « Ensuite, raconte Rehayem lui-même, il a de son propre chef engagé des travaux de construction au dessus de sa maison située à l'Ariana. En ce moment, je l'aide selon mes moyens à les finir surtout que mes autres frères ne se sont point opposés au projet. La famille est sacrée pour mon père qui a quitté le bled dans les années 70 et a enduré des années de souffrance et de dur labeur pour devenir propriétaire de notre maison. Aujourd'hui, il retrouve avec plaisir son métier d'antan et se réjouit que la grande famille récupère l'un de ses enfants prodigues. On nous offre le gîte et le couvert et il arrive que les visites de contrôle de ma femme enceinte soient aussi prises en charge par mon père ou l'un de mes frères en activité. La perspective de devenir très bientôt grand-père et grand-mère constitue un supplément de bonheur pour mes parents qui, jusqu'à nouvel ordre, traitent mon épouse comme si elle était leur propre fille.
Chaos sous le toit parental Dans d'autres familles, on vit mal ces retrouvailles. La concession faite au profit de l'un des enfants par le père (ou la mère) sur le toit parental peut provoquer des différends et des litiges parfois insolubles même devant les juges. C'est un cas vécu par le jeune Lotfi à qui un étage de la maison familiale fut cédé. Cette cession ne fut pas bien accueillie par les autres frères dont l'un quitta le domicile de ses parents en réaction à la mesure « inique » de son père. Depuis cette date les querelles se sont multipliées au sein de la famille et le froid règne encore entre Lotfi et au moins deux de ses frères rancuniers. Si bien que la proximité qu'on croyait salutaire pour l'unité de la famille s'est transformée en un poison qui envenime quotidiennement les rapports de ses membres. La télévision tunisienne a d'ailleurs exposé plusieurs cas de ce genre et les téléspectateurs ont sans doute mesuré l'acuité des problèmes que le toit parental pose du vivant comme à la mort des parents. Les animosités gagnent en violence quand un intrus ou une intruse de la belle-famille s'en mêlent. Saloua en sait quelque chose depuis que son mari s'est immiscé dans les questions relatives aux biens légués par ses beaux-parents : « Mes frères et sœurs n'ont jamais admis l'idée qu'il défende mes intérêts à ma place. L'autre jour, mon frère aîné l'a menacé en public et ils ont failli en venir aux mains devant tous les voisins. Par ailleurs, notre famille se désagrège chaque jour un peu plus à cause de cet héritage. Pour un rien, on se dispute, on ne s'adresse plus la parole, on porte plainte à la justice. Nous avons désormais 5 dossiers chez nos avocats respectifs. Quel cauchemar et quel scandale si mes parents pouvaient revenir à la vie et voir le chaos que leur disparition a causé ! »