Le temps libre des enfants et des adolescents continuera toujours de poser des problèmes à la plupart des parents tunisiens : le budget de ces derniers ne permet pas toujours de satisfaire convenablement le besoin de distraction de leur progéniture. Par ailleurs, les espaces disponibles sont soit rares soit inexistants dans les zones à forte population. Pour les grandes aires de jeux, il faut avoir la voiture pour s'y rendre (et ce ne sera qu'une seule fois par semaine, sinon pendant les vacances).Là aussi le montant à payer n'est pas à la portée de toutes les bourses. Il reste les vieilles salles de jeux qui ne sont plus aussi bien fréquentées qu'il y a une vingtaine d'années. D'ailleurs, elles tendent toutes à se vider de la plupart de leurs machines à sous pour ne donner lieu qu'à quelques billards ou baby-foot très souvent en bien mauvais état. Si au moins le coût de la partie baissait, cela aurait retenu pour quelques heures les plus de quinze ans dans ces espaces fermés; au contraire et malgré la détérioration de leur matériel, les gérants de ces salles majorent régulièrement leurs prix invoquant à chaque fois une nouvelle raison pour le faire. C'est pourquoi on leur préfère les jeux vidéo que de modestes clubs de quartier mettent à la disposition des enfants et des jeunes.
Les nouveaux jeux Dans celui de Lassaad par exemple, on aménage moins d'un mètre carré pour chaque joueur et le club ne dispose que de six postes sur lesquels jouent parfois douze enfants serrés les uns contre les autres occasionnant un boucan insupportable et un désordre total, un peu comme dans un kuttab d'autrefois en l'absence du maître. Chaque enfant paie au moins 500 millimes pour quelques minutes de jeu et le maître des lieux ne les lâche pas de ses regards inquisiteurs. Les plus âgés passent une bonne partie de leur temps libre dans les Publinet à chatter avec des amis garçons ou filles, sinon ils s'adonnent eux aussi aux jeux vidéo disponibles sur l'ordinateur. Cela leur coûte entre 800 millimes et un dinar de l'heure, mais il faut être là avant les autres parce que le nombre des postes est limité. Il vous arrive souvent en effet de voir des groupes de jeunes attendant leur tour à l'intérieur ou devant le local. S'ils n'ont rien d'autre à quoi s'occuper, ils passent le temps à vexer les passantes de leur âge, à s'amuser avec n'importe quel objet ou bien à flâner d'une rue à l'autre ou d'un quartier à l'autre, causant toujours un vacarme gênant.
Café, cigarettes et rami : quelle trilogie ! Lorsqu'ils en ont les moyens, ils se permettent une sortie en centre-ville ou, chose rarissime, une virée en banlieue. Le cinéma, ils n'en veulent plus ; regarder la télé ne leur dit rien si ce n'est pas l'heure d'un grand match ou d'une bonne émission sportive. Même pour ces programmes, ils préfèrent les suivre sur l'écran plasma du café du coin en compagnie bien évidemment des amis, sirotant un café ou une boisson et fumant en cachette quelques cigarettes ou un bout de narguilé. Mais le café est synonyme de jeux de cartes pour les adolescents et les désœuvrés de plus de 20 ans. Sur ce plan, le rami est le jeu qui plaît le plus à cette population oisive. Une bande de quatre garçons peut passer jusqu'à 5 heures d'affilée à chercher les combinaisons de trois ou de quatre cartes, à attendre un joker, à vouloir savoir le « demandé », à chercher par quel moyen abattre toutes ses cartes et gagner la partie, à tricher dans la donne, à crier après son compagnon de jeu, à surveiller le score, à maudire la malchance et à se demander si ce n'est pas le spectateur d'à côté qui leur porte la poisse! Ce loisir coûte et fatigue moins que beaucoup d'autres et permet à toute une clique de rester unie le plus longtemps possible. De plus, les joueurs ne dérangent en général personne et, côté sécurité, il y a toujours quelqu'un dans le café pour calmer les esprits échauffés. Les parents redoutent beaucoup moins pour leurs enfants la fréquentation des cafés que les grandes sorties en bandes. « Quand mon fils me dit qu'il sort avec des amis, je m'inquiète trois fois plus que si je le voyais jouer aux cartes. Après tout c'est ce que moi-même je faisais à son âge et jusqu'à mes 40 ans. Les sorties en bandes ne me rassurent guère parce que d'abord mon fils ne me dit jamais la vérité sur sa destination réelle ni s'il y va en train ou en voiture. Je n'arrête pas de le prévenir contre les comportements turbulents et de l'appeler sur son portable quand il tarde à rentrer. » Ainsi parlait le père de Mohamed Aziz qui a aussi une fille adolescente.
Et les loisirs des filles ? Mais cette sœur ne suscite jamais l'inquiétude de ses parents. « Elle sort avec sa mère, ou avec des voisines qui lui rendent aussi visite en fin de semaine et pendant les vacances. Cela dit, j'ai remarqué ces dernières années que de plus en plus de jeunes filles de notre entourage ne savent plus quoi faire de leur temps libre et le passent donc en très mauvaise compagnie. » Que reste-t-il comme loisirs à nos adolescentes toujours sous haute surveillance ? Pas grand-chose, sinon une ou deux heures avec maman dans les magasins, deux autres à l'aider dans les tâches ménagères, et toute la soirée à regarder la télé ou à entendre la musique dans sa chambre ! Il leur arrive de sortir avec des amis, mais elles n'y sont autorisées que sous mille conditions. Et dans leur cas, il faut redoubler de vigilance et prodiguer deux fois plus de mises en garde. Dans les familles plus tolérantes, on fait plus confiance aux filles qu'aux garçons. « Les filles sont de nos jours plus prudentes, affirme Mme Alayet, et elles sont plus responsables lorsqu'on leur accorde une marge de liberté ! ». Est-ce que tout le monde chez nous pense comme cette mère ?