Durant ces quatre dernières années, le prix de l'immobilier a connu une hausse sans précédent. Pourtant les immeubles continuent à pousser comme des champignons spécialement dans le Grand Tunis mais aussi dans les autres grandes villes à l'intérieur du pays. Pour mieux comprendre les raisons de cette hausse et avoir plus de détails sur la situation actuelle du secteur, nous avons rencontré M. Moncef Kôoli, président de la chambre des promoteurs immobiliers relevant de l'UTICA. Interview. *Le Temps : Au cours de ces dernières années, les prix de l'immobilier n'ont cessé d'augmenter. Pouvez-vous nous expliquer à quoi est due cette hausse ? -M. Moncef Kôoli : Cette hausse est due essentiellement à l'augmentation des prix des terrains et au coût des matériaux. *Pensez-vous que les prix vont bientôt baisser ? -Non. Ça va encore s'accélérer *Et comment voyez-vous l'issue de cette crise ? -Il faut que les principaux acteurs modérateurs du prix du terrain offrent du terrain aux promoteurs immobiliers et autres acquéreurs. Il faut densifier le nombre de logements à construire dans un seul hectare pour augmenter l'offre de terrain. Il faut aussi élargir les plans d'aménagement dans les villes. Il faut dire qu'en Tunisie, nous avons déjà commencé à appliquer ces solutions mais c'est encore timide. On peut aller beaucoup plus loin. *Pour les terrains, quel est le prix du m2 actuellement ? -Aujourd'hui le prix du m2 en brut dans le Grand Tunis est de 700d. Au net, il est de 1200 le m2. (Cité Ennasr, les jardins de Carthage, les Berges du Lac 2ème et 3ème tranche) Les prix sont « abordables » à El Mhamdia et Fouchana, mais ces localités n'acceptent que le logement social. Etant donné que les habitants de ces régions ont des revenus plutôt limités. Donc par rapport au logement économique, le prix du terrain reste élevé. Dans les années 80 et jusqu'au début des années 90 le coût du terrain représentait seulement 4% du prix du logement alors qu'actuellement il représente 25% du coût du logement. Sachant qu'entre temps toutes les autres composantes du logement ont aussi évolué. C'est pour cela qu'on peut dire que le coût du terrain a été multiplié presque par dix. *Et pour les logements ? -Le coût du logement enregistre une augmentation annuelle de 7%. Le prix médian du m2 pour le logement économique et social varie entre 600 et 700 dinars. Le prix médian du m2 pour le standing est 1300d. On peut trouver le double de ce prix mais ça concerne des projets exceptionnels dont le nombre ne dépasse pas une cinquantaine d'appartements. C'est le très haut standing et ça se vend très rapidement. Les prix médians du logement dans le Grand Tunis sont les mêmes dans les grandes villes à l'intérieur du pays, notamment les villes côtières (Sousse, Hammamet, Nabeul ou Sfax). Cette évolution rend encore les choses plus difficiles pour toute la chaîne : promoteurs, entrepreneurs, architectes… *Après tant d'années d'expérience dans le domaine, trouvez-vous que la mentalité du client a évolué ? Est-ce le client qui exige aujourd'hui le standing ou est-ce le choix des promoteurs ? -Il est vrai que la demande va de plus en plus vers le standing. Si on trouve dans une même région 3 ou 4 projets, celui qui se vend le plus est le standing bien qu'il soit plus cher. C'est dû essentiellement à l'évolution du revenu du Tunisien. La vie d'un être humain est en grande partie conditionnée par la qualité du logement. *Y a-t-il des promoteurs qui n'arrivent pas à vendre leurs logements ? -C'est vrai que la vente s'est quand même ralentie. C'est-à-dire que le nombre de mois nécessaires pour la commercialisation d'un projet dure un peu plus de temps qu'auparavant. Mais je ne crois pas qu'il y ait des logements invendus. *Nous avons combien de promoteurs immobiliers en Tunisie ? -Le nombre des promoteurs agréés est de 1750. En dix ans le nombre des promoteurs actifs est passé de 150 à 250. *On sait que la part des promoteurs immobiliers privés dans le marché est de 18%. Qu'en pensez-vous ? -Le 18% c'est une estimation du ministère de l'Equipement et de l'Habitat, mais je considère que nous sommes plus proches du 25% que du 18%. En tous les cas ça ne change pas grand-chose. Nous devons mettre en place les outils nécessaires pour avoir une information économique fiable. Par exemple, on créé un observatoire pour le logement qui aura entre autres, pour mission de fixer les tâches de tous les intervenants dans le secteur : qui fait quoi comment et à quel coût ? Ceci peut être utile à tout le monde pour les pouvoirs publics, les promoteurs et aussi les banques. Pour le moment nous avons juste des estimations mais qui restent insuffisantes. Pour revenir, que ce soit 18 ou 25% c'est encore très insuffisant. Il faut que la construction des logements soit réservée uniquement aux professionnels pour éviter que des chantiers durent des années et des années avec tous les risques qu'ils peuvent avoir et aussi pour garantir une bonne qualité du logement. Même les présidents des communes sont aujourd'hui conscients de cet enjeu. Ils préfèrent que la construction des logements soit faite par des promoteurs que par des particuliers qui passent des années à construire leurs maisons. Il vaut mieux avoir un ou deux grands chantiers organisés et qui seront rapidement finalisés que d'avoir plusieurs chantiers à la fois et qui durent des années. En plus le secteur organisé paie plus d'impôts et toutes les redevances. Je rêve d'atteindre un taux de 50% de logements réalisés par le secteur organisé (promoteurs publics ou privés) 90% des Tunisiens seront propriétaires de leurs logements en 2014. Pour cela il faut que toutes les volontés soient réunies et toutes les propositions et solutions sont les bienvenues. C'est en effet un travail colossal. *Que pensez-vous de la qualité du logement ? -La qualité a fait un pas extraordinaire. Lors de leurs visites en Tunisie, des experts internationaux ont été ébahis par la qualité de nos logements. Il faut savoir que l'activité est très réglementée et contrôlée dans notre pays. Il ne faut pas oublier non plus que la SNIT (Société nationale immobilière de Tunisie) a été créée en 1959 soit juste 5 ans après l'indépendance. Notre pays a aussi investi dans le savoir. Aujourd'hui, on trouve 6 à 7 ingénieurs qui suivent le chantier. La garantie des seinages aussi préserve les droits de toutes les parties. Nous sommes très à la pointe et nous n'avons rien à envier dans ce domaine par rapport aux autres pays développés. *Une fois le logement acquis, de quoi se plaignent les clients ? -C'est une activité de service. Il y a toujours des petits défauts. Le parfait n'existe pas. Pour chaque projet, il y a une trentaine d'intervenants qui peuvent faire des erreurs. Mais ce n'est pas une fatalité et on peut encore améliorer la qualité par l'encadrement. Il faut aussi industrialiser certaines tâches. *Pour les bâtiments écologiques. Où en sommes-nous ? -Nous avons fait un pas très important dans le logement écologique. Depuis le 2 janvier 2010, pour avoir un agrément, il faut que le dossier technique certifie que le bâtiment soit économe en énergie. Et déjà avant la promulgation de cette loi, l'ANME (l'Agence Nationale de Maîtrise de l'Energie ) a parrainé un certain nombre de projets en prenant en charge une partie des surcoûts du logement. Interview réalisée par Afef BEN ABDELJELIL