Le cinéma est un divertissement mais c'est aussi un art. Faire de sorte que le cinéma soit à la fois un divertissement et un art est une équation que ne peut réussir que quelques brillants réalisateurs dont le Français Alain Resnais en fait partie. A preuve son film « On connaît la chanson » diffusé mercredi dernier dans le cadre des séances de ciné-clubs proposées par CinéAfricArt. Il reste un des films importants de la cinématographie française, en raison à la fois de la légèreté de son sujet et de la profondeur de son traitement. « On connaît la chanson », déjà le titre sonne bien, réunit des acteurs fétiches du cinéaste : André Dussollier, Sabine Azéma (son épouse) et Pierre Arditi, le temps d'une comédie musicale unique où ils vont exprimer tous leurs fantasmes d'acteurs en se livrant à toutes les fantaisies de jeu. Alain Resnais jongle avec différents genres : la romance, le vaudeville et la comédie romantique l'agrémentant d'extraits de tubes sans tomber dans le ridicule dans lequel d'autres cinéastes auraient vite glissé. Parce que sa façon de combiner tous ces genres prouve bien qu'il maîtrise jusqu'au bout des doigts le 7ème art et qu'il dispose d'une capacité de synthèse assez forte pour convaincre les plus réticents des cinéphiles qui doivent admettre qu'au milieu de l'intrigue, l'un des personnages, en l'occurrence André Dussollier, se mette à chanter « Ma gueule qu'est-ce qu'elle a ma gueule ? » de Johnny Hallyday ou encore Sabine Azema fredonner « Ce soir, je serai la plus belle pour aller danser » de France Gall. La palette s'élargit et les chansons se déroulent au fur à mesure du déroulement du récit : des plus triviales aux plus nobles. Un assortiment de refrains représentants les chansonniers toutes générations confondues : Serge lama, Julien Clerc, Léo Ferré, Sylvie Vartan, Joséphine Baker, Bashung, le groupe Téléphone etc. Les fans de la variété française trouveront leur compte. Evidemment, cette jolie compilation n'aurait aucun sens sans les personnages, des modèles de drôlerie, sillonnant Paris pour visiter ou faire visiter des appartements, se croisent par hasard, se cherchent sans le savoir, se retrouvent contre leur gré dans une joyeuse cohue émaillée de tubes archi-connus. Alors les personnages sont six : Odile (Sabine Azéma), femme dynamique qui voit la vie en rose, Claude (Pierre Arditi), son mari, mou et sans consistance, Camille (Agnès Jaoui), sœur d'Odile, qui se la joue intello et grande gueule stressé par sa thèse d'histoire, Nicolas (Jean-Pierre Bacri), chauffeur irascible, Marc (Lambert Wilson), agent immobilier cynique et enfin Simon (André Dussolier), vieux garçon timide et romantique. Cette faune de personnages haute en couleurs aux apparences trompeuses révèle progressivement sa face cachée avec en toile de fond Paris, personnage à part entière. Car entre ce que ces personnages sont réellement et l'image qu'ils renvoient, il y a un écart qui sera vite cerné. Malgré leurs différences, chacun cache quelque chose : une angoisse, une frustration, un rêve, un désir. C'est la recherche du bonheur qui semble les obséder. La force du film est qu'il montre que derrière les artifices se cachent une vérité, que derrière le voile de la légèreté apparaissent les malaises des uns et des autres : dépression, sentiment de culpabilité et autres névroses qui font obstacles au bonheur, à l'amour, l'amitié etc. Oui on connaît la chanson. A propose de chanson, sa fonction dans le film est particulière. Il s'agit d'extraits qui prennent tantôt la place des dialogues et tantôt des indicateurs des sentiments et des pensées des personnages. En explorant de nouveaux territoires, Alain Resnais, presque un cas à part dans le cinéma, ne cessera décidément jamais de nous surprendre. Chacun de ses films est particulier en raison de l'originalité avec laquelle il est traité. Chaque film a son propre univers, sa propre forme et sa propre musique. Un scénario original qui sublime le quotidien banal et une musique qui donne au film un ton décalé et des interprètes magnifiques qui traduisent par leurs émotions les intentions du réalisateur. Il n'en fallait pas tant pour que cette oeuvre pleine de fraîcheur soit récompensée par 7 Césars.