Dans le dernier recueil de nouvelles d'Emna Ben Mustapha Kherriji, il est une question que l'auteure ne pose pas expressément mais qui traverse pratiquement les 16 récits du livre : pour quoi écrire ? Et la réponse à cette interrogation en filigrane est donnée par le titre du recueil " Min ajl Essalem " (Pour que règne la paix) qui reprend en fait celui de la première nouvelle, texte émouvant qui sonde dans les cœurs des Palestiniens et des Israéliens les chances d'une réconciliation et d'une paix durables. Le choix de ce titre et la place qu'occupe, dans le recueil, la nouvelle qui le porte ne peuvent passer pour fortuits. Emna Ben Mustapha Kherriji impose un objectif universel à son écriture littéraire : contribuer par la plume au triomphe d'un autre langage que celui de la haine et de l'exclusion. Les obstacles qui se dressent devant ses héros et freinent leur envol sont le fait de forces rétrogrades qui traînent l'humanité vers un désastre. L'égoïsme, les préjugés, l'ignorance, l'intolérance, le rejet de l'autre, le refus du dialogue, l'injustice, le défaitisme, tous ces maux dont la gravité s'amplifie paradoxalement à l'ère de la globalisation, empêchent des générations entières de se réaliser et brisent leurs rêves d'harmonie et de bonheur. En élevant plus haut que toutes les autres voix celles qui défendent les valeurs humanistes, Emna Ben Mustapha Kherriji semble tenir à ramener la littérature et les écrivains à leur mission universelle noble : rapprocher les hommes et raffermir leur foi en un avenir meilleur pour tous. Les femmes de bonne volonté Mais au-delà de ce vœu pieux qui lui dicte d'écrire une sorte d'appel de sincère, mais plein d'espoir, pour la préservation de la concorde entre les hommes sans distinction de foi ni de nationalité, ni de sexe, ni de catégorie sociale, Emna s'interroge aussi sur le sens très relatif du Bien et du Mal, du Vrai et du Faux, sur le temps qui passe et les moyens de vaincre sa finitude, sur l'amour, l'amitié, la place des femmes dans nos sociétés et les velléités de changement qui les animent. Les héroïnes volontaires qui se refusent au désespoir et à l'immobilisme sont en effet nombreuses dans ce recueil quelque peu sévère avec ses personnages masculins. Dans les nouvelles de « Min ajl Essalem », l'avenir est fait de féminité active, résistante et courageuse. Féministe à sa manière, le recueil accorde néanmoins leur chance aux mâles pour peu qu'ils veuillent bien la saisir : l'enseignant retraité ne cède pas, comme la plupart de ses collègues, à l'oisiveté tuante des cafés et s'embarque pour une nouvelle traversée de l'existence ; le mari alcoolique fait à son épouse le serment de rompre avec la dive bouteille ; le fripier indélicat a un cas de conscience au sujet de l'argent indu avec lequel il est rentré ; l'émigré est resté fidèle à la Canadienne qu'il a épousée quarante ans auparavant. Et cette figure du père défunt qui a, envers et contre les coutumes de son temps, ouvert à sa fille les portes du savoir et de l'émancipation. Il y a lieu de souligner également la place octroyée par les jeunes dans les nouvelles du recueil : le plus souvent ces personnages ambitieux mais en même temps fragiles se heurtent à l'incompréhension des adultes, aux injustices du système et à l'étroitesse des horizons qui leur sont promis. C'est pourquoi ils sont presque tous tentés par le départ vers d'autres cieux plus vastes et plus magnanimes. Mais le voyage qu'ils entreprennent pour les atteindre est quelquefois sans retour. Des nouvelles d'aujourd'hui sur les questions de toujours « Min ajl Essalem » est le troisième recueil publié par Emna Ben Mustapha Kherriji, professeure d'arabe qui écrit dans une langue savoureuse et d'une rare fluidité. Sa maîtrise de l'art de la nouvelle permet à cette écrivaine d'exprimer sobrement une multitude de sentiments et de suggérer en deux ou trois pages des univers incommensurables. Tout en dépeignant des réalités familières contemporaines, les nouvelles de « Min ajl essalem » nous proposent des réflexions profondes et courageuses sur les sujets de toujours ! Badreddine BEN HENDA * «Min ajl essalem», recueil de nouvelles d'Emna Ben Mustapha Kherriji, aux Editions de l'Atlas, mars 2010, 93 pages, prix public :