Si les pratiques esclavagistes ont perduré au Maghreb jusqu'au début du XXème siècle, il a fallu attendre les années 70 pour certains pays limitrophes du Sud, pour que l'Etat, pressé par les instances internationales, annonce aux " Maîtres " qu'il est vraiment temps de libérer leurs esclaves. Les " Maîtres ", obéissants, appliquèrent les consignes le jour même et l'on raconte cet événement qui semble à première vue anecdotique, mais qui relève plutôt de la réalité que de la fiction. L'un des " Maîtres " vint annoncer à ses esclaves encore endormis, qu'ils étaient d'ores et déjà libres et qu'ils pouvaient disposer de leur corps et de leur temps comme ils voulaient. Ne comprenant rien à ce que le Maître leur racontait, les esclaves demeurèrent interloqués. Qu'est-ce, donc, que cette liberté dont il parlait ? Il leur expliqua alors qu'elle signifiait, d'abord, qu'ils doivent quitter le lieu où ils dormaient en compagnie des animaux du Maître. Pratique qui était très courante chez les paysans et les bergers. Ne comprenant toujours rien à cette nouvelle donne mais obéissants, les esclaves sortirent et se rassemblèrent en groupe devant le " Kouri " (habitation où dormaient humains et bétails). Ils n'avaient ni où aller ni quoi faire. Un responsable politique local vint leur faire un discours pour leur vanter les bienfaits de la liberté et leur expliquer que dorénavant ils avaient les mêmes droits que leurs Maîtres. Il y eut quelques applaudissements timides mais quand l'orateur s'en alla, les esclaves, nouvellement libérés, ne comprenaient toujours pas où il voulait en venir et qu'elles sont réellement les bienfaits de cette chose nommée " liberté " qui les a fait réveiller avant l'aube et jeté en dehors de leur sempiternel abri pour les laisser toute la journée aux morsures du soleil du désert. Quand la nuit est tombée, ils n'avaient rien mangé, puisqu'ils avaient l'habitude d'être nourris par les maîtres en contre-partie leurs multiples services. Le froid du désert devint vorace. Affamés et frigorifiés ils décidèrent de regagner leur gîte pour dormir en attendant qu'on vienne leur expliquer clairement ce qu'était cette liberté qui faisait d'eux des sans-abris menacés par la famine. Le livre de Mohamed Ennaji (universitaire marocain, disciple du sociologue Paul Pascon), intitulé " Soldats, domestiques et concubines ", traite de l'une plus vieilles des institutions humaines, à savoir l'esclavage au Maroc au XIXème siècle, selon Ernest Gellner " un aspect très significatif de la vie marocaine ", même si l'esclavage ne jouait plus à partir de ce siècle, un rôle fondamental dans le fonctionnement de la société. Faute d'une documentation suffisante, la plupart des auteurs qui ont abordé le sujet, ont puisé leurs informations dans les recueils de droit musulman ainsi que dans les récits de voyage et les écrits littéraires. Si ces sources peuvent se révéler d'une certaine objectivité, elles présentent des caractéristiques qui limitent leur portée. Mohamed Ennaji tente dans son livre de traiter des différents aspects de l'esclavage tel qu'il existait au Maroc au XIXème siècle jusqu'à l'avènement du protectorat français. Quels furent les rôles joués par les esclaves ? Quels rapports entretenaient -ils avec leurs maîtres ? De quel traitement faisaient-ils l'objet ? Comment l'esclavage était-il perçu dans la société ? Ce livre surprenant par ses révélations, agréable par sa narration, se lit comme on regarderait un film d'histoire, avec des décors, des situations et des personnages dépeints d'une main de Maître.