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«L'esclavage a diminué, c'est sûr, mais il est présent», déclare Boubacar Messaoud, président de SOS-Esclaves Droits de l'Homme: Alors que la communauté internationale célèbre le 64ème anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, en
Parler d'esclavage, n'est plus un sujet qui date depuis des siècles. Ce phénomène sévit dans plusieurs pays, dont la Mauritanie, où les associations de défense des droits de l'Homme et d'esclaves en font leur cheval de bataille. Le phénomène évolue. Il n'est plus un passé. C'est un présent extrêmement pénible, comme l'explique Boubacar Messaoud, président de SOS-Esclaves créée en 1995 et reconnue en 2005. Dans cette interview, le défenseur des droits des esclaves parle de ce sujet tabou, qui est le résultat des traditions enracinées dans la société mauritanienne (auprès des Maures) depuis des siècles et qui tardent à changer à cause des lois pas très efficaces, du silence de l'élite, des juristes, voire des religieux...et surtout du consentement des esclaves eux-mêmes. Le Temps L'esclavage existe-t-il encore en Mauritanie ou prend-il de nouvelles formes ? Boubacar Messaoud Il n'y a pas de nouvelles formes d'esclavage en Mauritanie. L'esclavage existe depuis des siècles. Il évolue certainement, mais il a un passé et un présent extrêmement pénible. Il y a encore des domestiques qui travaillent sans être rémunérés, qui appartiennent totalement à leurs maîtres, ceux-ci peuvent en faire ce qu'ils veulent, peuvent les louer, les vendre, et même parfois les assassiner. En fait, la vente des esclaves ne s'effectue pas dans les rues, il n'y a pas de marché d'esclaves, mais il y a des esclaves qui sont attachés à leurs maîtres. Il y a également, un phénomène qui est très important, c'est que l'esclavage dans notre pays, notre sphère n'a jamais été contesté, ni même dans le monde musulman, ce qui fait qu'il a évolué sans qu'il y ait changement de mentalité. Il existe depuis l'ère des Oumayades. L'esclavage est revenu, et les gens l'ont pratiqué et en ont fait une partie de l'Islam lequel a été instrumentalisé pour en justifier la domination et pour le rendre acceptable par l'esclave qui se considère comme une propriété de son maître. Il est en fait, son modèle. C'est son maître qui est son modèle, ce n‘est pas son père. Car souvent, il ne connaît pas son père et ce parce qu'il est esclave de par sa mère laquelle appartient elle aussi au maître. Donc, c'est cette identité qu'il a, même s'il fuit. Il faut dire à ce niveau qu'il y a beaucoup d'esclaves qui ont échappé à l'esclavage. Quand on trouve au Sénégal, au Mali, en Côte d'Ivoire des anciens esclaves, ce sont des gens qui sont partis. Ils étaient obligés de le faire parce que le phénomène est tellement ancré dans la société à laquelle ils appartiennent qu'ils ne peuvent pas justifier dans leur propre milieu le fait qu'ils se révoltent. Ce n'est pas justifié, et c'est pour cette raison que les esclaves se trouvent obligés de s'éloigner, car tout le monde les considère comme des ennemis, comme quelqu'un qui ne reconnaît pas sa destinée : accepter les ordres de son maître. D'ailleurs, dans les traditions, on dit souvent que l'esclave qui a été maudit par son maître est rejeté par tout le monde. Tout le monde le fuit parce quand le maître -qui donne l'autorisation pour se marier- dit publiquement qu'il ne l'aura jamais, toutes les femmes les rejettent parce qu'il ne pourra pas avoir une relation légale. Nous avons en effet un problème. En parlant de l'esclavage, les gens considèrent que c'est révolu, qu'il fait partie du passé, alors que non. Il a diminué, c'est sûr, mais il est présent. *Y-a-t-il des statistiques qui reflètent l'ampleur du phénomène en Mauritanie ? -Il n'y a pas de chiffres et l'Etat refuse de faire des enquêtes. L'Union Européenne a donné de l'argent pour faire des enquêtes depuis 2006, mais tant que l'Etat n'est pas convaincu qu'elle va ressortir ce que bon lui semble, tant qu'il n'a pas cette maîtrise, il ne va pas la faire. Nous avons fait des enquêtes et à chaque fois, nous nous rendons compte qu'elles sont truquées parce que quand on va dans un village et qu'on demande de former un focus-group, c'est le préfet qui choisit les interviewés lesquels viennent dire que l'esclavage existe, mais pas chez nous. Comme s'il n'existe que chez les voisins. D'ailleurs, quand vous irez au Mali, au Sénégal, on vous dit que le phénomène n'existe que chez les Mauritaniens...alors que malheureusement, en Afrique, il n'y a que les descendants d'esclaves qui peuvent lutter contre ce phénomène et ce parce que toute l'élite africaine cache l'esclavage. Elle a d'ailleurs, un complexe. Elle préfère parler de la traite négrière. Mais elle ne peut pas ne pas le cacher car elle n'a jamais eu le courage de le nier. *Quel rôle pour les prédicateurs et les Ulémas pour lutter contre l'esclavage ? -Nous dénonçons l'absence des Ulémas sur cette question parce qu'ils sont esclavagistes. *Ils sont complices alors ? -Tout comme les juristes. *Les maures sont-ils conscients de cette question ? -Peu nombreux sont parmi les Maures ceux qui osent parler ou dénoncer ce problème. D'ailleurs, cela est valable aussi pour les autres communautés. L'élite n'a pas le courage de poser le problème, car chez eux l'esclavage existe sous d'autres formes. L'élite n'ose pas parler de cette question à cause des traditions qui sont dominantes dans la société et ils considèrent que les lois, la démocratie, ont été importées. Ils n'ont pas intégré ces principes. *Pensez-vous que les Haratines, exploités en tant qu'esclaves seront capables de dire non à leurs maîtres? -Nous sommes souvent accusés par l'élite arabe de vouloir séparer les Haratines des Maures, des arabes. Alors que le fait d'ignorer et de tenir à laisser ignorer le phénomène d'esclavage, comme le fait Mohamed Ould Abdel Aziz qui dit que l'esclavage n'existe pas en Mauritanie, est un signal aux Maures que l'esclavage n'existe pas chez eux. Je considère que c'est un signal aux Maures pour qu'ils n'acceptent pas l'esclavage. Il s'agit là du meilleur moyen pour créer une fusion entre les Haratines et les Maures, parce que les Haratines ont déjà commencé à s'éveiller. Ils s'éveillent sur une injustice, sur un mensonge et ils réagiront. S'il n'y a pas une entente et une prise de conscience réelle chez les arabes, nous nous acheminons vers un conflit. *Comment êtes-vous en train de procéder pour défendre les droits des esclaves et lutter contre ce phénomène ? -Il est très difficile de lutter contre l'esclavage quand les gens sont consentants. Nous nous sommes heurtés à cette situation. Nous nous sommes rendu compte dès le départ, qu'il n'y a rien à faire si les esclaves eux-mêmes ne sont pas éveillés. Notre principe quand nous avons créé l'association, c'est de sensibiliser sur la question et de s'occuper des esclaves qui soulèvent le problème. Nous travaillons avec les victimes pour leur cause depuis 1995 date de création de SOS-Esclaves. Mais nous n'avons été reconnus qu'en 2005. *Quelle est la frange sociale la plus touchée par l'esclavage ? -Quand on parle d'esclavage, ce sont les femmes et les enfants qui en sont les principales victimes. L'Homme est capable d'aller sans regarder derrière lui. Mais la femme ne peut pas le faire, car elle est soumise à sa famille. Propos recueillis par Sana FARHAT