Pour le professeur Hamed Ben Dhiâa, président de l'Université de Sfax : «en l'absence d'ingrédients, la qualité n'est plus une posture mais une imposture» Définie comme étant : « l'ensemble des caractéristiques d'une entité qui lui confère l'aptitude à satisfaire des besoins exprimés ou implicites », la qualité est devenue l'axe autour duquel s'articulent les systèmes de gestion des entreprises, des organismes et des institutions et en même temps, le but vers lequel tendent toutes les stratégies et toutes les décisions. Le problème, c'est que l'utilisation du mot, à tout bout de champ, comporte un risque considérable, celui de galvauder le concept voire le vider complètement de son sens. Pour engager le débat sur la manière dont on pourrait concevoir la qualité et sur la façon selon laquelle elle pourrait se décliner dans l'enseignement supérieur, nous nous sommes adressés au professeur Hamed Ben Dhiâa, président de l'Université de Sfax. Interview. Le Temps : Au-delà de l'aspect sémantique du vocable, la mise en place du système qualité n'exige-t-elle pas des préalables ? - Hamed Ben Dhiâa : La qualité est d'abord une culture mais aussi une posture. Mais cela demande des règles de base : des structures d'application et surtout des personnes –ressources dédiées à cela, informées, formées, suivies et évaluées. En l'absence d'ingrédients nécessaires, ce ne sera plus une posture mais une imposture. Il est évident que le concept est en lui-même tellement attractif qu'il peut être employé à tort et à travers, d'autant plus que la qualité ne peut pas être déclinée d'une façon générale et généraliste pour tout le monde et avec la même recette. *La recette préconisée dans l'enseignement supérieur ? -Pour prendre par exemple le cas de l'enseignement supérieur, il faut se situer par rapport aux normes internationales et puis viser à rejoindre les institutions qui ont pratiqué la qualité, mais selon des indicateurs, une démarche et une évaluation pour atteindre des objectifs préétablis et pré-convenus. *Cela suppose certainement une conception préliminaire du rôle de l'Université ? -Bien entendu, pour l'enseignement supérieur, il est nécessaire au préalable de définir le rôle de l'Université. Dans une lecture moderne, l'université doit être au service d'un développement intelligent, dans une logique de société basée sur le savoir. A l'université, nous avons deux offres de cadres et de compétences et une offre de la recherche et de ses résultats. On peut se fixer par exemple les objectifs suivants : améliorer nos capacités de gestion, selon des normes modernes, former des cadres attractifs et qui pourraient être performants sur les plans de l'insertion et de l'employabilité, s'inscrire dans une logique de recherche & développement qui pourrait avoir un impact réel sur notre économie et essayer de former des entrepreneurs créateurs d'emploi plutôt que des chercheurs d'emploi. Voilà, quatre indicateurs rubriques à fixer a priori en s'inspirant de la littérature et des normes internationales pour juger de la performance de telle ou telle université. Une fois ces quatre rubriques fixées, il faut décliner chaque rubrique en indicateurs. *Quels indicateurs pourriez-vous citer en matière de gestion, de formation, de recherche et de démarche entrepreneuriale dans votre propre institution ? -Eh bien, par exemple, pour la capacité de gestion, on doit gérer sa scolarité en temps réel, faire en sorte que les dossiers ne traînent pas. L'étudiant qui se pointe pour son inscription, doit avoir sa carte d'étudiant le jour même. Par exemple aussi, la préparation des marchés, leur passation pour pouvoir acquérir tel ou tel équipement scientifique etc…d'ailleurs, ça rejoint l'idée de la mise à niveau. Donc cela veut dire qu'on est conscient qu'on a un effort à faire. Pas dans l'absolu, mais conformément à des objectifs à atteindre et qui sont reconnus internationalement, parce que la réussite de la démarche suppose d'abord une évaluation interne ou auto-évaluation, et une évaluation externe. Concernant l'offre de formation, l'indicateur de qualité est le taux de réussite. A ce propos, si je prends l'exemple de l'Université de Sfax réalise un taux de réussite de 73%, que nous jugeons correct., quoique le taux de 75% soit possible à atteindre moyennant des améliorations d'ordre pédagogique et des techniques de travail. Nous sortons aussi à peu près 6500 à 7000 diplômés, avec une certaine stabilité en terme de pourcentage. Le défi majeur, c'est l'insertion de ces diplômés. Or, avec la démarche actuelle, on ne peut pas aller plus loin. Les trois ingrédients pour améliorer les choses sont le savoir, le savoir-faire et le faire-savoir et surtout le savoir-faire qui manquent terriblement à nos étudiants tout comme d'ailleurs le savoir-être. Un des ingrédients de l'amélioration du taux de réussite consiste à améliorer le côté communicationnel par le langage et le comportement. Et si, actuellement, nous avons 60% de taux d'insertion, mon objectif est de faire le plein et d'atteindre par exemple le palier de 70 ou 75%, d'ici quatre à cinq ans. Là, j'insiste sur l'aspect indicateurs chiffrés. Mais que nous faudrait-il pour améliorer les techniques de communication ? Pour ce faire, il faut former les formateurs, avoir un contenu logique et validé, assurer le suivi et surtout suivre l'impact de cette action sur l'étudiant. Pour ce qui est de la recherche, elle fournit à peu près 110 à 120 thèses et 500 mastères/an, une centaine de papiers de qualité. Plus que l'amélioration de ces chiffres, il importe d'améliorer l'impact économique de cette action-là, comment valoriser tout cela : par exemple en enregistrant plus de brevets, en faisant tout pour que l'exploitation de ces brevets soit réelle et correcte, en essayant de décrypter les résultants de recherches en les transformant en idées de projets industrialisables etc. Concernant la quatrième rubrique, en l'occurrence la création d'entreprises et la démarche entrepreneuriale, je peux me dire que chaque année, je peux démarrer par vingt ou trente entreprises qu'elles soient génériques ou innovantes. Mais pour cela, il me faut un programme de culture entrepreneuriale, donc des personnes –ressources ainsi qu'une évaluation. *La démarche entrepreneuriale n'est quand même pas sans risques ? -Il importe de signaler la démarche qualité qui se décline comme précédemment indiqué au niveau de l'enseignement supérieur. Une démarche inclusive doit laisser le minimum de place pour les laissés pour compte. Il faut qu'on arrive à enseigner le risque et l'échec à nos étudiants qui veulent se lancer dans la démarche entrepreneuriale parce que les risques sont là et que la culture de l'échec est internationalement connue. *Pour conclure, quelle est votre vision future concernant l'université ? Mon rêve, c'est d'avoir une université entreprenante, entrepreneuriale et moderne dans le sens du management et de la démarche qualité. Cette qualité se décline sous le management de la qualité, la gestion par objectifs etc. Tout cela fait partie des indicateurs qui pourraient permettre à une entreprise ou à un organisme quelconque, d'afficher clairement sa volonté de s'améliorer, de rendre visible sa démarche vers la qualité et d'avoir un regard interne et nécessaire sans occulter le regard externe car il est utile d'être jugé par les autres. Il ne faut pas oublier de préciser que nous sommes dans une logique globalisante, ce qui implique de réfléchir global, ce qui signifie être au courant et pratiquer une politique de veille sur ce qui se passe à l'échelle internationale en termes de performances et d'indicateurs. Nous devons être capables de faire un bon diagnostic chez nous et puis, entre l'état des lieux et l'état de l'art, établir une phaséologie gérable, partagée, connue, et d'agir local. Maintenant, je passe à une logique d'université ouverte sur son environnement, une université performante. Et donc il faut se demander ce qu'on peut avoir en partage avec l'industrie et l'administration locale, l'innovation, un terme utilisé parfois à tort et à travers, mais je pense qu'on peut innover en termes de produits, en termes de management, et là, on rejoint le concept de qualité, en terme de processus. Bref, on peut innover sur d'autres plans, mais là, c'est une notion qui nous permet de converger avec les industriels et c'est ce qu'on essaie de faire. En tant qu'université régionale basée à Sfax, nous devons tout faire pour que l'université soit un acteur réel de ce qu'on appelle le pôle de compétitivité. Donc elle doit agir quantitativement et qualitativement sur le tissu industriel et faire en sorte que le triangle d'or administration,/industrie/université puisse agir de concert et surtout l'université doit quitter sa peau académique pour aller vers le développement réel et puis mettre ses compétences au service du développement. C'est comme cela que je vois la qualité qui est un outil pour continuer à exister et être plus visible. Entretien conduit par Taieb LAJILI