Pour son « Périple d'un amoureux », Lassâad Zouari ne réussit à faire embarquer que quelque 2000 spectateurs, enthousiasmés au départ et quelque peu déçus à la sortie. L'idée de mettre en valeur la renommée maghrébine et arabe dont jouissait et jouit encore Mohamed Jamoussi est séduisante. Les voix sélectionnées pour reprendre les airs de l'artiste tunisien sont d'un point de vue purement musical, irréprochables. De plus, ce sont des chanteurs très jeunes et très motivés qui animèrent la soirée. Quant à l'orchestre dirigé par Zouari, il a fait preuve d'une application et d'un professionnalisme sans faille. Mais tout cela n'a pas suffi pour offrir à Jamoussi la meilleure des commémorations. Aux voix de certains chanteurs, il manquait tantôt de la chaleur, tantôt de la gaité, quelquefois encore une dose de sensibilité romantique. C'est-à-dire en somme, les principales qualités qui distinguaient le musicien disparu. Pouvait mieux faire ! Nous mesurons bien évidemment l'effet du trac sur ces jeunes talents dont la plupart se produisaient pour la première fois sur une scène aussi prestigieuse que l'amphithéâtre de Carthage. Mais ils pouvaient, s'ils le voulaient vraiment ou bien si la conception du concert l'autorisait réellement, empreindre le spectacle d'un peu plus de spontanéité et d'entrain. On les sentait guindés, bloqués par on ne sait quelle consigne paralysante. Leur fraîcheur n'a malheureusement pas été mise au profit de cet hommage presque sans relief. Il faut néanmoins reconnaître que le choix des chansons à exécuter ne leur avait pas facilité la tâche. Certains airs de Jamoussi répétés dimanche soir étaient originellement ternes, voire sinistres. Il valait mieux en faire l'économie pour égayer la scène et les gradins et faire partager la joie de vivre que respirent toujours les meilleurs chants du défunt. Au lieu de 100 chansons revisitées et malheureusement charcutées, Lassâad Zouari aurait dû se contenter d'une bonne trentaine parmi les plus représentatives du parcours artistique et de la personnalité de Jamoussi. L'obsession des records et des chiffres est désastreuse dans les manifestations artistiques de qualité. Et puis, Jamoussi n'a pas composé que des chefs-d'œuvre et s'il vivait encore pour opérer un tri qualitatif sur ses propres airs programmés par Zouari, il en aurait lui-même éliminé peut-être la moitié. En tout cas, le public présent n'était visiblement pas venu écouter les chansons les moins connues de son artiste favori. Ostensiblement, il voulait revivre des moments de bonheur et d'émotion désormais rares et fugaces sur notre scène artistique. Mais, dimanche à Carthage, Lassâad Zouari ne les lui procura que par intermittences et au compte-gouttes ! Badreddine BEN HENDA ------------------ Hommage et compétition L'idée nous est venue, avant d'écrire ce papier, de comparer les deux grands spectacles dédiés cette année à la mémoire de Mohamed Jamoussi, à savoir celui de Lassâd Zouari programmé à Carthage dimanche soir et celui de l'orchestre de la radio tunisienne donné hier à Hammamet. Des collègues journalistes ont de leur côté choisi d'assister également au concert de Samir Agrébi pour évaluer les deux spectacles. Mais le parallèle envisagé aurait constitué une maladresse impardonnable de notre part, car il ne s'agit pas, en le cas d'espèce, d'une joute musicale pour élire le ou les meilleurs interprètes du répertoire du défunt chanteur. Les hommages de ce genre traduisent d'abord un sentiment de reconnaissance, d'amour et de considération éprouvé par les vivants envers l'artiste disparu. Ils sont également destinés à perpétuer auprès des générations futures le souvenir d'un créateur zélé qui se consacra entièrement à son art transformé par ses soins en source généreuse et intarissable de plaisir et de bonheur. Lassaad Zouari et Samir Agrébi n'ont sans doute pas d'autres intentions que celles-ci en célébrant chacun à sa manière le premier centenaire de l'immense chanteur et musicien que fut Mohamed Jamoussi. A moins que…