Comment aborder une page, jusque-là méticuleusement tenue hermétiquement fermée, de l'Histoire, sans réveiller quelques plaies anciennes, pas encore cautérisées ? Comment s'emparer, par le biais de la fiction cinématographique ici en l'occurrence, d'un pan occulté de cette même Histoire, qu'on dit écrite par les vainqueurs, en exhumant à la face du jour des vérités qui blessent, des vérités qui dérangent, lors même que pour des raisons qui arrangent tout le monde (ou presque), une partie de la mémoire que l'on nomme officielle a été trafiquée, ne serait-ce que par les silences, -pesants- qui n'ont eu de cesse de l'entourer ? La grande guerre, et tout son cortège d'ignominies, mais pas seulement, n'en finit pas de voir déflorée, fut-ce par à-coups, la fleur vénéneuse de ses secrets les plus inavoués, réveillant de vielles passions tenaces, en jetant de la chaux vive, sur la terre encore friable des souvenirs. Car, un demi-siècle après, il y a toujours un malaise qui s'installe quelque part, quand il s'agit d'évoquer le chapitre franco-algérien. Dans ses détails, c'est presque toujours un sujet qui fâche. « Hors-la loi », dernier opus de Rachid Bouchareb, vient de sortir en France il y a une semaine. Le film avait déjà déclenché la polémique et a été descendu en flammes, sans pitié ni remords lors de sa projection Cannoise. Des manifestants avaient même cherché à empêcher sa projection, sous le prétexte que son réalisateur aurait opéré à une lecture faussée de l'Histoire, et montré les « vétérans » sous un jour qui n'est pas le meilleur, « Hors la loi » s'ouvrant sur les évènements sanglants du Sétifois, et sur le massacre effroyable perpétré sur la population civile, par l'armée française, montrant pour la première fois, dans toute sa vérité crue, l'étendue du désastre. Ces quelques minutes, comme autant d'instants volés à la face d'une fiction, -l'histoire des trois frères- qui constitue en vérité la trame narrative du film de Bouchareb, ont fait office de « brûlot », que chacun se dépêche de renvoyer à son voisin, de peur qu'il ne lui explose entre les mains. Et c'est peut-être aujourd'hui la marque de fabrique de l'auteur d'Indigènes, film accueilli également avec passion, dans la double acception du terme. Mais dont le fil conducteur a eu la chance de passer par le chas d'une aiguille, lors même que ce n'était pas donné d'avance non plus, le sujet en étant également à prendre avec des pincettes, comme tous les sujets qui ne font pas partie du « listing » préféré du fameux « Devoir de Mémoire », que le cinéma parvient pourtant à convoquer, contre vents et marées, tandis qu'ailleurs, des clameurs montent par-delà les nuages, pour tenter de faire taire des voix qu'on dit discordantes, parce que porteuses de vérités qui gênent aux entournures. Cinquante ans après, ce n'est toujours pas évident… Samia HARRAR *« Hors la loi » sera projeté en avant-première tunisienne, en ouverture des JCC, (Journées Cinématographiques de Carthage).