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Paroles de réprimés de l'ère Ben Ali
Publié dans Le Temps le 27 - 01 - 2011

Par Jalel El-GHARBI* - Il n'est pas compliqué de trouver des témoins de la répression sous le règne de Ben Ali. Mais les témoignages les plus poignants auront été ceux que je n'ai pas pu recueillir. Z.A. a refusé de raconter. «Je m'en remets à la justice divine», dit-il. Les geôles de Ben Ali l'ont détruit. Il s'en est sorti avec une insuffisance rénale et des séances de dialyse.
Je n'ai pas osé aborder K.J. Le 14 janvier, jour de la chute de Ben Ali, on l'a vu, la rage au cœur, courir dans les rues parce qu'un de ses tortionnaires était en ville. Il voulait tuer celui qui a violé sa femme. Ici, à Tunis, tout le monde sait ce que le délégué (sous-préfet) a répondu à la femme d'un détenu politique venue demander de l'aide: «Allez faire le trottoir!»
Mohammad Ali Jaouani, la cinquantaine, a été détenu de 1994 à 2006 pour appartenance à une association non reconnue. Lui est prêt à raconter dans le détail son arrestation musclée et les séances de torture qu'on lui a fait subir dans les caves du ministère de l'Intérieur.
Les interrogatoires qu'il a subis pendant vingt jours se déroulaient en deux séances. Des membres de la tristement célèbre DST (police secrète) se relayaient pour lui poser les mêmes questions de 8h à 17h puis de 22h à 3h. Complètement nu, il était accroché au plafond, pieds et poings liés. C'est la torture dite « poulet rôti ». Plus ignoble encore, il subit «El Bano » (le bain): «On me suspendait à l'aide d'un palan au plafond, la tête en bas au-dessus d'une baignoire d'une saleté indescriptible. À l'eau, se mélangeaient le vomi des suppliciés et leur sang. Cette eau, on ne la changeait jamais. À l'aide du palan, on m'immergeait la tête dans la baignoire jusqu'à l'étouffement. On ne me retirait que lorsque je leur faisais signe que j'allais avouer. Le comble, c'est que cette opération se faisait sous le contrôle d'un médecin qui devait intervenir en cas d'évanouissement.»
En prison étaient interdits papier, stylos, journaux - sauf ceux du RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique, ex-parti au pouvoir) -, livres, y compris le Coran, et exercice physique. Les cinq prières étaient autorisées, mais pas une de plus. Une douche de 10 minutes était accordée aux détenus tous les 15 jours. «Comment dire en si peu de temps ce que j'ai enduré en 13 ans. J'espère que le jour viendra où l'on demandera des comptes à ces criminels et que tous viendront témoigner en détail», dit Mohammad Ali Jaouani.
Le témoignage de Mohammad Ali est tout en euphémismes. Il ne dit rien des cigarettes sur les testicules, du bâton dans l'anus, des viols, des coups et des gifles dont on sait qu'ils étaient monnaie courante dans les sous-sols du ministère de l'Intérieur sous Ben Ali.
Mustapha Salouhi, 62 ans, cheveux grisonnants, est sur les barricades à Bizerte. Mustapha Salouhi a fait ses études à Grenoble. À son retour en Tunisie, il postule pour un travail. La cellule du parti au pouvoir exige un pot-de-vin, 300 dinars, soit à peu près 200 dollars. Il claque la porte et s'exile en Libye. Il passe 10 ans à Sabha. À son retour, il est arrêté à la frontière. On lui reproche le fait que sa femme porte le voile. Il est interrogé pendant 24h. On lui demande des informations sur des Tunisiens qu'il ne connaît pas. Le tout sous une pluie d'injures ordurières.
Mustapha regrette qu'il n'y ait pas de parti socialiste en Tunisie. À Grenoble, il sympathisait avec le PS et il se souvient avec nostalgie de leur arrivée au pouvoir, en France, en 1981. « Je voudrais que tout le monde ait un avenir. Qu'il n'y ait plus de corruption. Le bien-être de mon voisin m'importe plus que le mien », confie-t-il.
«Nous avons vécu des moments extrêmement pénibles. On nous a enlevé le droit à l'expression. Nos comptes Internet ont été fermés. Nos téléphones étaient sur écoute. Nous étions sous surveillance policière. Mais nous ne nous sommes jamais rétractés. Nous nous sommes exprimés comme on le pouvait. La machine répressive ne nous a que peu terrorisés», affirme Abdessalem Kekli, universitaire, syndicaliste et chargé de l'information au sein de l'observatoire tunisien des libertés et des droits syndicaux.
Abdessalem Kekli est toutefois lucide sur l'engagement des intellectuels, de certains intellectuels du moins. « Je dois dire que si le pouvoir de Ben Ali a duré autant, c'est parce que nombre d'entre nous, je parle des intellectuels qui semblent avoir retrouvé la parole, n'ont pas assumé leur rôle. Cela veut dire que Ben Ali est en nous et qu'il n'est pas facile de s'en défaire tant que la société n'a pas acquis les mécanismes qui défendront la liberté. Je veux parler des structures d'une société civile à même d'endiguer tout abus de pouvoir. » Les défis sont, selon M. Kekli, devant les Tunisiens: «Je ne pense pas que les choses changeront de manière radicale à court terme. Nous avons besoin de construire une société réellement démocratique dont le fondement sera une information indépendante, des associations influentes et indépendantes, une justice indépendante et une véritable séparation entre Etat et parti au pouvoir. En somme, il s'agit d'une refonte totale de la société. Et je ne pense pas qu'on puisse réaliser cela en un mois ni même en un an. Ce sera difficile. La leçon qu'on peut tirer de ce que d'aucuns appellent "révolution" est que quiconque n'est pas prêt à faire des sacrifices pour la liberté ne mérite pas de vivre libre.» Liberté. Un mot qui résonne partout aujourd'hui en Tunisie.
Il y a un mois, le RCD comptait plus de 2 millions d'adhérents. Soit 20 % de la population adhérant au parti au pouvoir. C'est dire que ne pas avoir une carte du RCD était en soi un acte de résistance. La répression était telle que le silence était un acte militant.
Ces derniers jours, la jeunesse a montré qu'il ne suffisait pas de cultiver des valeurs autres que celles du parti. Qu'il ne suffisait pas de se taire. En agissant, les Tunisiens ont incarné le «Yes we can» d'Obama.
Article publié dans L'Orient le jour le 21/01/2011


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