Pas plus tard que deux semaines en arrière nous étions un peuple uni, soudé, solidaire. Main dans la main, hommes et femmes, pauvres et riches, Tunisois et « Gabsois » se tenaient côte à côte scandant les mêmes revendications et défendant la même cause. Et il y a à peine deux semaines, nous étions tous prêts à nous protéger les uns les autres. Le sang tunisien qui coulait nous a unis dans son flot. Et il y a quelques jours, des manifestants sont venus des fin fonds de la Tunisie, de ces régions oubliées et lésées, méprisées et abandonnées à leur sort (…) pour dire tout haut et clamer la cause des opprimés et pour poursuivre jusqu'au bout ce dont pour lequel tout le peuple tunisien s'est soulevé uni. Arrivés ici, épuisés et en colère, ils ont au départ trouvé de soutien et de la solidarité. Mais il y a deux jours, ce même peuple uni s'est trouvé controversé. Et la divergence est normale, enrichissante même. Il y avait ceux qui étaient contre le gouvernement et ceux qui le soutenaient. Cela annonçait les prémices d'un paysage démocratique. Sauf que ce paysage s'est vite embrouillé. Nous avions cru aux secousses qui faisaient trembler tout corps donnant naissance, sauf que le « pue » a vite remplacé le sang. Le tribalisme semble soudain revenir au devant de la scène. « Rentrez chez vous, ignorants, illettrés, rudes montagnards » avons-nous entendu. Insultes et vexations ont vite tourné aux calomnies « Ce sont des traîtres qui veulent faire avorter notre Révolution » a-t-on entendu dire. Les gens venus de l'intérieur, ceux qui bravent le froid depuis des nuits, ceux qui ont sacrifié au moins une centaine de martyrs se voient accuser de traitrise et de complots contre la révolution et le pays. Des scènes qui ont engendré la violence. Des témoins ont rapporté qu'avant-hier soir les manifestants à El Kasbah ont été attaqués. Témoignage vite appuyé par des vidéos montrant des blessés dans l'un des hôpitaux de la capitale. Nous ne nous sommes pas crus aussi vulnérables et facilement réfractaires. En effet, nous ne sommes pas chiites et sunnites, ni musulmans et chrétiens ni arabes et kurdes… Oui, mais nous aussi aussi « sahli » et « tounessi » et « sfaksi » (…). Nous avons également sous estimé le carcan accablant de plusieurs décennies de marginalisation et d'appauvrissement de certaines régions de la Tunisie contre les investissements et l'urbanisation d'autres régions. A qui profitent ces conflits ? A qui profitent cette cacophonie, cette violence et cette divergence ? A un RCD qui refuse de rendre son dernier souffle ? A une UGTT qu'on accuse d'hypocrisie et de profiter de la Révolution du peuple ? A un gouvernement qu'on suspecte de ne pas pouvoir complètement se détacher d'un ancien système ? A des intégristes qui peuvent bouger sans être démasqués dans des conditions pareilles ? On peut facilement accuser la population de n'avoir pas laissé le temps au gouvernement de travailler pour l'organisation d'élections présidentielles et qui seront alors indéfiniment reportées. On peut facilement accuser la population de n'avoir pas permis à l'ordre de revenir et imposer l'état d'urgence jusqu'à une date illimitée. Les regards se tournent également vers nous de l'étranger. La Tunisie, petit pays sans ressources ou richesse naturelles et dont le seul capital est sa population se positionne néanmoins dans une zone stratégique. A l'Ouest, les Intégristes qui sont encore fort présents en Algérie et au sein d'El Qaida du Maghreb, ne tarderont pas à chercher à recruter parmi notre peuple… A l'Est un général qui a peur pour sa propre « dynastie » et un président pro israélien et dont le trône vacille actuellement par une population pro palestinienne contaminée par l'effet leur parvenant de la Tunisie. Au nord une communauté dont le principal allié est un pays sioniste qui ne l'arrange pas qu'il y ait d'autres démocraties au sud de la méditerranée, et dont les populations refusent l'existence de cet Etat, mais sont gouvernés par des dictateurs dont les intérêts sont différents de ceux de leurs peuples. Au sud, un continent prospérant en trafic d'armes et dont la Tunisie représente un excellent passage. Les Etats-Unis ont déjà dépêché leur sous-secrétaire d'Etat qui a longtemps œuvré pour l'intérêt d'Israël au Liban et la France fait appel à un ambassadeur qui nous vient fraîchement de l'Irak… En bref, la Tunisie de par sa position peut attirer la convoitise et de par sa population (arabo-musulmane) peut attirer les destructeurs des projets de démocratie et de dignité. Le peuple tunisien a néanmoins dit son mot hier soir : Il y a bien eu manipulation et nous redevenons soudés. Cela prouve que la maturité et l'intelligence ne font pas défaut à cette population longtemps opprimée, mais le mal a déjà été fait et la « Fitna » a bien trouvé son chemin une fois. Quels que soient ceux ou celui à qui profite cette fitna, il est essentiel de ne plus y retomber…