On comprend aisément que les auteurs des « Mille et une nuits » soient demeurés inconnus et que de temps en temps un roi ou un super-puissant du monde arabo-musulman se réveille de sa léthargie psychique pour mettre le feu à ces satanés contes qui ne tiennent aucunement compte de la pudeur et de la morale qui doivent gérer le genre de société où ces écrits ont vu le jour ni que Galland offre une version aseptisée et dénuée de toute image, ou idée choquantes à son adorable roi de France. Les seuls qui ont échappé à l'auto-censure concernant ce produit emblématiquement oriental semblent être les anglais qui ont donné une approche quasiment fidèle à l'original, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Pourquoi les « Mille et une nuits » envoûtent-ils autant et attisent-ils autant de haine ? Parce qu'on ose y parler des puissants de ce monde (les rois en l'occurrence) d'une manière pas forcément flatteuse et qu'on y traite de la sexualité aussi bien humaine qu'animale. Voyons plutôt sur quoi est bâti ce livre universellement connu et qui a résisté à tant de siècles d'idolâtrie et de haine ! Un jeune roi veut rendre visite à son frère lui-même maître absolu d'un grand et prospère royaume. Il acquiert une très belle et très onéreuse bague pour la lui offrir. Le jour de son départ il fait ses adieux à sa jeune épouse et la laisse sous la garde d'un esclave noir. A peine a-t-il fait quelques kilomètres qu'il se rend compte qu'il a oublié son cadeau et il décide donc de retourner le chercher. Quelle ne fut sa surprise, une fois franchi la porte du palais, d'entendre de drôles de gémissements. Sa colère monta d'un cran lorsqu'il découvrit sa dulcinée dans les bras de son esclave sur son propre lit nuptial. Il les tue tous les deux, récupère la bague et reprend aussitôt sa route vers le royaume de son frère. Ce dernier l'accueillit avec tous les honneurs dus à son rang mais le jeune roi semblait hagard, perdu dans ses pensées. Rien ne changea pendant le dîner. Le jeune roi semblait triste et torturé par on ne sait quelle idée lugubre. Son frère mit cela sur le compte de la fatigue engendrée par le long voyage qu'il vient de faire. Mais le lendemain, malgré tout le souci du grand roi, d'organiser une soirée merveilleuse avec les mets et les boissons les plus raffinées et les plus belles chanteuses et danseuses du royaume, le jeune frère demeurait de marbre. Son frère le pria de lui dire ce qui le torturait mais il garda le silence. Au bout de quelques soirées sinistres, malgré la fête qui battait son plein, l'aîné décida d'inviter son jeune frère à la chasse, histoire de l'égayer. Pressé par son aîné, il accepta de l'accompagner. Mais à l'aube, le roi ayant préparé toute sa cour pour la chasse, désespérant de voir venir son frère, dut se résoudre à partir sans lui. Celui-ci préférant demeurer seul dans ses appartements. Quelle ne fût sa surprise, son frère à peine parti, de voir l'épouse de ce dernier se dandiner quasiment nue dans le jardin, entourée de tout ce que le palais comptait comme houris et esclaves. Croyant que son jeune beau frère l'avait accompagné à la chasse, elle donna l'ordre de départ d'une terrible orgie en s'offrant elle-même à un esclave (noir aussi) qui se tenait sur un haut arbre et qui se jeta sur elle tel un aigle sur sa proie. Devant cette scène inattendue le jeune roi éclata de rire. Il avait trouvé plus « trahi » que lui. C'est baigné dans cette soudaine hilarité que son frère, de retour de la chasse, le trouva. Etonné, ce dernier le pria de lui dire ce qui le rendait si heureux alors qu'il venait de passer plusieurs jours lugubres. Le jeune frère accepta de lui avouer pourquoi, il était si triste et lui raconta comment il a été trahi par sa jeune épouse. L'aîné le pria alors de lui raconter ce qui l'a rendu si joyeux alors qu'il était à la chasse. Après avoir refusé, il se vit enfin obligé de lui raconter ce que venait de faire son épouse. « Moi au moins, mon épouse m'a trahi avec un seul esclave tandis que la tienne n'a laissé absolument rien lui échapper. Tous les gens présents dans le palais ont goûté à ses charmes ». Furieux, l'aîné les tua tous et dit à son frère « Si nous sommes nous les deux rois les plus puissants de ces contrées trahis par nos épouses, nous devons quitter nos trônes et n'y revenir qu'une fois qu'on ait trouvé plus « trahi » que nous ! Et les voilà partis à travers montagnes et plaines, traversant des villes et des rivières cherchant plus malchanceux en amour qu'eux deux. Rien ! Mais ne voilà-t-il pas qu'un jour, en traversant une immense forêt, ils entendirent comme un tremblement de terre et virent arriver de loin un ogre dont la simple vue leur donna la tremblote, tellement il était gigantesque. Il portait sur sa tête une immense caisse. Les deux frères cherchèrent refuge sur le plus haut des arbres. Quelle ne fut leur frayeur, quand ils virent l'ogre choisir le pied de l'arbre où ils étaient perchés, pour une halte. Il ouvrit l'immense caisse et sortit une autre caisse et de cette seconde une troisième etc… Au bout de la septième, ils virent apparaître un petit bout de femme que l'ogre déposa sur sa cuisse avant de sombrer dans le sommeil. Ayant vu les frères, la petite diablesse leur fit signe de descendre pour honorer sa beauté. Par gestes, ils lui exprimèrent leur peur d'être mangés par l'ogre. Elle leur fit comprendre que s'ils ne lui obéissaient pas, elle le réveillerait, de toute façon, pour qu'il les engloutisse. Ils obéirent et décidèrent de regagner leurs royaumes respectifs maintenant qu'ils ont trouvé plus « trahi » qu'eux deux ! un ogre que sa femme trahit sur sa propre cuisse alors qu'il sommeille, cela ne court pas les rues. Le roi aîné (Chahrayar puisque c'est de lui qu'il s'agit) décida d'épouser chaque nuit une nouvelle femme et de la tuer à l'aube. Jusqu'à ce que leur nombre fût réduit à zéro. Le premier ministre chargé de fournir les nouvelles victimes au roi, était très inquiet et pour cause : s'il ne ramenait pas une nouvelle épouse éphémère à Chahrayar, celui-ci n'hésiterait pas une seconde à le tuer. C'est en le voyant dans cet état que Chahrazède, sa fille, arriva à le convaincre de la présenter, elle, à ce monarque sanguinaire. Le premier ministre dût s'y résoudre et c'est de cette rencontre entre Chahrayar et Chahrazède qui se révéla être une merveilleuse conteuse que débutèrent « les mille et une nuits ». La trahison serait-elle le propre de la femme ou bien l'appellera-t-on autrement quand elle est commise par l'homme ? Libre à vous de choisir la morale de cette histoire !