Par Bourguiba Ben Rejeb - A un autre moment, la question aurait pu paraître saugrenue. En démocratie, chacun se fait son opinion et l'exprime dans le secret de l'isoloir. C'est tout le bien que les Tunisiens se souhaitent après des années de bourrages de crânes et d'urnes. D'ailleurs, il ne fait plus de doute que tous ceux qui ignoraient le langage des isoloirs se passionnent soudain pour cette dignité retrouvée. Du coup, beaucoup se demandent pour qui voter finalement, pour la simple raison que l'accélération de l'histoire ne laisse guère de temps aux choix mûrement réfléchis. Bien entendu, il y a toujours ceux qui ont toujours fréquenté la chose politique et qui ont leur petite idée sur les Politiques devant se présenter aux suffrages. Mais tout le monde sait que cinquante ans de privations laissent des traces quand ils n'ont pas « désactivé « la fibre électorale. La révolution est une formidable ouverture sur l'espoir, sa concrétisation va aussi être affaire de politique. En ce moment, on voit bien que les frustrations anciennes ont multiplié les offres de service. Il est même tout à fait réjouissant de constater que de nombreux partis se déclarent et, surtout, déclarent vouloir participer à l'élan démocratique dont tout un chacun se prévaut. La démocratie est apparue comme un dénominateur commun, ce qui facilite la marche vers le renouveau, même quand le chemin à parcourir n'est pas des plus faciles. Les mots eux-mêmes doivent signifier autrement, surtout quand le pays a vécu la dictature sous le label fallacieux du Rassemblement « Constitutionnel et Démocratique «. Ceci étant dit, il serait, paraît-il, prématuré de demander des programmes politiques clairs. Le citoyen voit bien que les étiquettes se font nombreuses, mais il n'arrive pas vraiment à situer les enjeux et les clivages. Dans quelques mois, il va devoir envoyer des hommes et des femmes gouverner dans la durée, sans que pour autant les objectifs soient clarifiés. La lame de fond de la révolution a pourtant mis au premier plan quelques incontournables, soit pour aller au plus court, la dignité, l'emploi et les inégalités régionales. La dignité n'est pas un programme politique mais une exigence première. Pour l'emploi par contre, il va falloir expliquer le comment faire. Que l'on soit de droite ou de gauche, du centre ou de l'extrême, les pétitions de principe ne suffiront certainement pas, et il y a fort à parier que les chômeurs devenus électeurs se positionneront à partir de cette question. Comme de surcroît il y a actuellement énormément de sans emplois, avec leurs familles, les Politiques gagneraient, et pourraient gagner des sièges dans la démocratie, à proposer des issues vérifiables. Le temps presse, même quand les autres motifs de préoccupation ne manquent pas. Dans son désarroi de fin de règne, le régime déchu avait promis 300 000 emplois nouveaux, ce qui situe la barre et les enjeux. Le temps presse aussi pour la relance économique des régions. Là aussi, la pression tout à fait légitime ne faiblit pas. Pour avoir un discours électoral cohérent, il va bien falloir associer les hommes et les femmes des régions à la remise à plat avant la remise en marche. Pour le moment, il semble bien que l'enjeu démocratique soit étroitement lié à l'ouverture de vraies perspectives dûment circonstanciées. Dans la passion qui entoure les remises en question actuelles, on entend beaucoup parler du droit au juste retour des richesses locales… Les dernières péripéties autour des questions relatives à la nomination de gouverneurs montrent que la mobilisation est grande. Les batailles électorales se joueront aussi sur ce terrain de la juste répartition des richesses. Il va falloir en créer, des richesses, pour les répartir, même quand l'impatience est très grande. Il va surtout falloir convaincre qu'en plus d'être à l'écoute des citoyens on est capable de construire un avenir à la jeunesse. Et comme je vais faire comme tout le monde désormais, aller voter, est-ce trop demander que d'inviter les Politiques à donner des réponses claires à des questions aussi simples?