Par Mehdi MAAZOUN (Expert Comptable) - Chaque fin d'année, les membres du conseil d'administration d'une société anonyme arrêtent les états financiers annuels devant être soumis à l'approbation de l'assemblée générale des actionnaires. Cet établissement s'effectue sous la responsabilité des administrateurs. La disposition légale est prévue par l'article 201 du Code des Sociétés Commerciales, stipulant que "le conseil d'administration établit, sous sa responsabilité, les états financiers de la société conformément à la loi relative au système comptable des entreprises." Par conséquent, l'établissement des états financiers irréguliers ou inexacts fait partie des fautes engageant la responsabilité civile et pénale des membres du conseil d'administration. Les administrateurs ne peuvent pas s'exonérer de leur responsabilité au motif de leur ignorance des principes ou techniques comptables. En effet et contrairement aux fausses idées reçues rejetant la responsabilité de la fiabilité des états financiers au commissaire aux comptes, le conseil d'administration demeure le responsable prévu par la loi des états financiers. Notons dans ce cadre que la comptabilité n'est autre que le traitement chiffré des opérations effectuées par les dirigeants. Il s'agit de l'enregistrement chronologique, opération par opération, sur la base des pièces justificatives, des transactions faites par la société. D'autres événements sont comptabilisés sur la base des jugements de la direction. C'est le cas, par exemple, d'une provision pour créance douteuse devant être constatée s'il existe un risque important de non encaissement relatif à un client déterminé. De même, la dépréciation des stocks devrait être provisionnée au cas où les actifs de la société comportent des marchandises invendables, détériorées, ou inscrites pour un montant supérieur à leur prix de marché actuel. Certains dirigeants refusent de comptabiliser ces provisions puisqu'elles impliquent une diminution du résultat comptable de la société. A l'inverse, d'autres cas de manipulations aboutissent à un minorant du résultat réel afin de réduire notamment le montant de l'impôt sur les bénéfices à payer. « Maquillage » de la situation financière De par leurs décisions, les dirigeants pourraient chercher un "maquillage" de la situation financière afin d'atteindre un objectif déterminé. Ce sont leurs actions qui faussent l'information comptable et aboutissent à des états financiers irréguliers et non sincères. Quant au commissaire aux comptes ayant audité et certifié les états financiers, il a une obligation de moyens et non une obligation de résultat. Il n'a pas à vérifier toutes les opérations financières qui relèvent du champ de ses missions, ni à rechercher toutes les inexactitudes et irrégularités potentielles. Etant un organe collégial, les administrateurs exercent leurs fonctions collectivement. Leur responsabilité est aussi engagée collectivement. En effet, l'article 207 du Code des Sociétés Commerciales prévoit expressément que les membres du conseil d'administration sont solidairement responsables, conformément aux règles de droit commun, envers la société ou envers les tiers, de leurs faits contraires aux dispositions du code ou des fautes qu'ils auraient commises dans leur gestion, sauf s'ils établissent la preuve de la diligence d'un entrepreneur avisé et d'un mandataire loyal. Cette responsabilité solidaire évoquée par le Code des Sociétés Commerciales s'applique au cas de l'établissement des états financiers irréguliers puisque la faute commise a été décidée d'une manière collective. Par conséquent, la faute est l'œuvre du conseil d'administration tout entier et non pas celle de tel ou tel administrateur pris isolément. Tous les administrateurs sont alors responsables du moment où ils ont approuvé la dite décision. Toutefois, chaque administrateur peut dégager sa responsabilité en établissant qu'il a désapprouvé la décision prise par le conseil, à condition que ses protestations soient explicites et consignées au procès-verbal. Responsabilité des Administrateurs En application des principes de droit, la responsabilité des administrateurs ne sera engagée que lorsque la faute commise génère un préjudice et qu'il existe un lien de causalité entre la faute et le préjudice. Rappelons que les états financiers ont pour objectifs essentiels de fournir des informations utiles à la prise de décisions relatives à l'investissement, au crédit et de renseigner sur la performance financière de l'entreprise. Ils sont utiles pour tous les utilisateurs afin d'évaluer, comparer et prédire la rentabilité de l'entreprise, sa solvabilité et sa liquidité. En d'autres termes plus simples, un investisseur potentiel peut décider d'acquérir des actions d'une société donnée sur la base de ses états financiers. De même, le résultat dégagé par la comptabilité servira de base de calcul des dividendes à distribuer aux actionnaires. En cas de communication des états financiers irréguliers ou ne donnant pas une image fidèle, tous les intervenants pourraient subir un préjudice lié directement à la faute commise. Dans l'autre forme de gestion de la société anonyme, dite forme dualiste, le directoire assume la responsabilité de la direction et exerce ses fonctions sous le contrôle d'un conseil de surveillance. Après la clôture de chaque exercice, le directoire est tenu d'établir les états financiers de l'exercice, engageant sa responsabilité de la même manière que les administrateurs dans la forme classique de direction. En effet, le Code des Sociétés Commerciales précise que les membres du directoire seront soumis aux mêmes responsabilités que les membres du conseil d'administration. Par contre, la responsabilité des membres du conseil de surveillance ne peut être engagée dans la mesure où il s'agit uniquement d'un organe de contrôle. Ils ne supportent aucune responsabilité du fait des actes de gestion et des conséquences qui en découlent. Toutefois, leur responsabilité civile peut être retenue pour les délits commis par les membres du directoire s'ils en ont pris connaissance et ne les ont pas révélés à l'assemblée générale. En matière pénale, les membres du conseil d'administration qui ont sciemment publié ou présenté aux actionnaires un bilan inexact en vue de dissimuler la véritable situation de la société, risquent une peine d'emprisonnement d'un an au moins et de cinq ans au plus et une amende de deux mille à dix mille dinars ou l'une de ces deux peines seulement. Il s'agit de l'élément légal du délit pénal prévu par l'article 223 du Code des Sociétés Commerciales. A sa lecture, une première interrogation s'impose concernant l'utilisation du terme "bilan" au lieu des états financiers. Rappelons que l'article 18 de la loi relative au système comptable des entreprises précise que les états financiers comportent "le bilan, l'état de résultat, le tableau des flux de trésorerie et les notes aux états financiers. Ces états financiers forment un tout indissociable." En plus, les états financiers sont directement inter-reliés. Ainsi, le résultat net dégagé par l'état de résultat doit figurer au niveau du bilan. On conclut qu'en dépit du principe de l'interprétation restrictive du texte pénal, il devrait s'agir, à notre avis, de la publication ou de la présentation des états financiers inexacts (y compris le bilan) qui exposerait les administrateurs au risque pénal. Par ailleurs, pour caractériser le délit, les états financiers doivent être présentés ou publiés. La définition de ces deux actions prévues expressément par la loi comporte une importance capitale. Les états financiers sont présentés à l'occasion de leur soumission pour approbation le jour de la tenue de l'assemblée générale des actionnaires. Quant à la publication, elle coincide normalement avec la mise des états financiers à la portée des tiers par tout moyen de communication collective. C'est le cas notamment de leur dépôt au registre de commerce. L'élément matériel est constitué par la présentation ou la publication d'un bilan inexact. Cette inexactitude est ainsi la condition préalable du délit. Faute d'une définition précise, il devrait s'agir, à notre avis, d'état ne représentant pas une image fidèle. La loi comptable, dans son article 19, stipule que "les états financiers doivent présenter de manière fidèle la situation financière réelle de l'entreprise, ses performances et tout changement de sa situation financière, et doivent refléter l'ensemble des opérations découlant des transactions de l'entreprise et des effets des événements liés à son activité." D'ailleurs, le législateur français utilise pour le même délit les termes de : "comptes annuels ne donnant pas une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice, de la situation financière et du patrimoine" (Article L 242-6 du Code de Commerce Français). Concernant l'élément moral, la présentation ou la publication doit être commise sciemment et ce dans le but de dissimuler la véritable situation de la société. La connaissance est présumée dans la mesure où les administrateurs sont supposés avoir une connaissance suffisante de leur société pour être capables de relever des distorsions telles qu'elles aient pour conséquence de fausser la situation de la société. La réunion des éléments constitutifs de l'infraction (légal, matériel et moral) rend les auteurs punissables. Le quitus donné aux administrateurs par l'assemblée générale ordinaire ou l'approbation par cette dernière des comptes et des états financiers n'exonère pas les administrateurs. En plus du délit de publication ou de présentation aux actionnaires d'un bilan inexact en vue de dissimuler la véritable situation de la société, les administrateurs sont exposés à d'autres sanctions pénales directement liées aux états financiers. Ainsi, les membres du conseil d'administration qui, en l'absence d'inventaires, ou au moyen d'inventaires frauduleux, ont opéré entre les actionnaires la répartition de dividendes fictifs risquent une peine d'emprisonnement d'un an au moins et de cinq ans au plus et une amende de deux mille à dix mille dinars ou de l'une de ces deux peines seulement. Dans ce cadre, l'article 289 du Code des Sociétés Commerciales qualifie de fictive toute distribution des bénéfices faite contrairement aux dispositions légales. Concluons par le fait que l'administrateur demeure tenu à une surveillance et à un contrôle sérieux de l'administration de la société. En acceptant un mandat social, les administrateurs acceptent aussi de prendre le risque de voir leurs responsabilités engagées. Dans ce cadre, l'établissement des états financiers annuels s'effectue sous la responsabilité civile et pénale des administrateurs. Face à l'importance du risque et afin d'améliorer l'environnement des affaires, les membres du conseil d'administration doivent de plus en plus être vigilants, rigoureux et diligents dans l'administration des affaires dont ils ont la charge, concernant notamment le respect des dispositions légales et réglementaires en matière de communication financière.