La rupture qu'on sent plus qu'on constate en ces temps qui hésitent, ne pouvait être mieux démontrée que par ce qui est en train de se passer à l'Espérance. Une véritable mue du football tunisien qui entame le dernier tournant de son premier siècle. Ne nous y trompons pas. Ce qui est en train de se passer à l'Espérance ne lui est propre qu'à ses débuts. Très vite, le phénomène s'emparera de tout ce corps du football tunisien. Monolithique dans sa généralité et divers dans ses composantes, il ne pourra pas ne pas obéir à une loi intangible qui le condamne à toujours muer. Il y a près d'un siècle, le football est né dans ce pays à la faveur d'un désir ardent de quelques téméraires qui voulaient s'affirmer. Il servit alors successivement comme instrument de révolte, de promotion et de modernité. Pris en compte pour identifier un quartier, une ville, voire une région entière, il servit durant des décennies d'émulation salvatrice et parfois d'exutoire des passions. Sa gestion n'a pas suivi une ligne uniforme selon qu'on ait été à Tunis, au Sahel, dans le Nord ou dans le Sud. Là, il s'identifia à des familles que la tradition a sanctifiées et ailleurs il a dû obéir à l'éparpillement de ses élites obligées de se décentraliser. Puis vint le temps des mécènes avant celui des clans pour devenir la proie de l'ambition ou le calvaire de quelques présidents. Il a failli durant ce dernier quart de siècle, perdre son âme quand d'un côté la politique politicienne s'est emparée de son aréopage et de l'autre, la rage chauvine a envahi les gradins. Dans cette fuite en avant, on a cru suffisant de gérer le professionnalisme avec les moyens des amateurs. Mais à la faveur d'une Révolution impromptue et un gel forcé des activités routinières, nous sommes-nous pas trouvés aujourd'hui à la croisée de chemins comme seule l'histoire peut nous proposer ? Si c'est l'Espérance qui s'engouffre la première dans ce tournant, il n'est pas sûr qu'on ne lui emboîte pas le pas automatiquement car l'avenir dépend totalement d'un nouveau départ. Après les précurseurs téméraires, après les familles traditionnellement engagées. Après les mécènes désintéressés et les politiciens, le temps est venu aux gérants anonymes mais rétribués et contrôlés. Reste bien sûr à légiférer pour authentifier ce nouveau courant. Le football tunisien a besoin d'habits neufs, lui qui subit depuis près d'un siècle les effets d'une loi qui lui est antérieure de quinze ans, tout en lui portant toutes sortes de contorsions. Ce que vient de balbutier l'Espérance est à la mesure du destin. Ce sujet qui dans cette page n'a pas cessé de nous faire exprimer depuis longtemps nous donne l'envie de nous voir y revenir. Nous n'y manquerons sûrement pas.