Des jeunes (garçons et filles) disent leur dépit et racontent leurs motivations - On parle beaucoup en ce moment des « harraqas », ces jeunes tunisiens qui « brûlent » les frontières par centaines, et même par milliers depuis la révolution tunisienne, pour aller tenter leur chance de l'autre côté de la Méditerranée, sur l'île de Lampedusa comme première station. La « Harqa » est devenue au fil du temps l'unique issue pour une grande partie de notre jeunesse. Un miroir aux alouettes qui commence sur des bateaux de pêche de 5 ou 6 mètres et qui se termine souvent par la mort de plusieurs d'entre eux… Nous avons rencontré quelques uns de ces jeunes, afin de mieux comprendre leurs motivations, leurs attentes et leurs espoirs. Voici leurs propos tenus sous le couvert de l'anonymat… Ils rêvent tous du « paradis européen », mais ils finissent souvent dans un enfer, celui des centres de détention, où ils sont parfois maltraités, avant d'être renvoyés à leur misère, avec un profond sentiment d'échec en prime… La plupart des « Harraqas » nous ont raconté à peu près la même histoire : « je suis diplômé du supérieur, au chômage depuis cinq ans et je souffre de ce manque de perspectives que subit ma génération. A 28 ans, je n'ai rien : pas de travail, pas d'argent, pas de maison, pas d'espoir de fonder une famille. La mort est meilleure que ma vie, car ici je m'éteins à petit feu… » Alors ils partent sur de frêles esquifs, sans eau ni nourriture. Les sommes versées aux marchands d'esclaves modernes varient en fonction de critères mystérieux. « On paye entre mille et deux mille dinars selon la situation de chacun ». Quelle situation ? Peu loquaces, ils insinuent que « cela dépend de la situation financière et familiale, du nombre de candidats à l'émigration sauvage, parfois du degré de parenté ou d'amitié avec le propriétaire de la barque… » Collecte d'argent Ces sommes sont « récoltées en vendant divers meubles ou bijoux, en empruntant à des parents et amis ou économisant durant des mois et des années. » Par contre ces candidats à l'émigration sauvage évoquent peu les réseaux de passeurs : « souvent on ne les connaît pas car ils viennent d'autres régions. Mais il faut éviter de trop les contrarier si on ne veut pas avoir de graves ennuis. » Mais pourquoi partir, alors qu'un vent de liberté se lève sur la Tunisie, avec de belles promesses et des espoirs nouveaux ? Là aussi, les réponses sont souvent identiques : « la révolution n'a rien changé pour moi. Je me lève le matin, ma mère me donne un peu d'argent, je vais au café, je reviens manger à midi et retour au café, jusqu'au soir… L'espoir de trouver un travail est toujours aussi lointain et même improbable, car je suis dans le domaine du tourisme et le tourisme ne marche pas bien en ce moment… » Pour certains, et contrairement à ce que l'on croit souvent, ce n'est pas la misère qui les pousse à risquer leur vie sur ces barques fragiles, mais plutôt le rêve d'un mode de vie occidental. Ils fuient souvent un carcan familial fait de reproches et de culpabilité. « Depuis des années, mon père n'arrête pas de nous dire, à mon frère et à moi, qu'il a passé sa vie à travailler pour nous permettre de faire des études et qu'aujourd'hui il est vieux et usé, mais nous on ne l'aide pas car on est chômeurs tous les deux… » Et les filles ? Un mal de vivre que l'on retrouvera également chez certaines jeunes filles diplômées du supérieur, mais qui sont peu nombreuses à risquer leur vie en mer par peur ou par renoncement. Bon nombre d'entre elles se retrouvent alors obligées de faire des travaux inférieurs à leur niveau : ouvrières dans des usines, institutrices dans les écoles privées, secrétaires chez des avocats, des médecins ou des notaires qui sont souvent de proches parents… Un « dépannage » qui leur permet de donner un coup de main à leur famille et d'espérer trouver un mari, cette denrée rare qui exige que l'épouse travaille, pour joindre les deux bouts. Leurs frères, eux, n'en peuvent plus de ce sentiment de culpabilité qu'ils ressentent lorsqu'ils tendent la main pour recevoir de petites sommes de leurs parents, alors ils risquent le tout pout le tout : « je veux partir pour ne pas mourir, partir pour vivre, tout simplement… » Ces jeunes inconscients risquent ainsi leur vie et il serait temps de mobiliser les hommes d'affaires et les investisseurs pour leur offrir emplois et dignité. Il ne s'agit pas de se borner à condamner cette vague d'émigration clandestine, mais plutôt de leur trouver des réponses urgentes, en redémarrant notre économie sur des bases saines, en évitant les mouvements sociaux vindicatifs actuels, qui ne peuvent que compliquer la situation. Les revendications pourront être de mise lorsque le pays aura trouvé son équilibre économique…