Alors que certains médias focalisent sur les chiffres concernant les pertes enregistrées par nos entreprises depuis le 14 janvier 2011, la chaîne nationale de télévision a jeté avant-hier la lumière sur la très belle initiative d'une grande enseigne tunisienne spécialisée dans la fabrication de pâtes. « Atini Kari », c'est ainsi que fut baptisée l'opération bénévole qui consiste pour la marque de pâtes à participer à l'acquisition par le Ministère de l'Education de nouveaux bus pour le transport et le ramassage des élèves des régions rurales. Pour seulement le noble jeu de mots que constitue le nom donné à l'initiative, la société de macaroni mérite qu'on s'incline devant ses propriétaires et ses employés. Les concepteurs du slogan « Atini Kari » sont également à féliciter pour la portée politique, sociale, humanitaire, morale voire même ontologique qu'ils ont conférée au geste de solidarité accompli par la société promotrice du projet. Ce slogan ingénieux, subtil, philosophique et poétique a aussi le mérite de nous faire oublier toutes les « nullités » publicitaires que prodiguent quotidiennement de nombreuses affiches et de multiples spots à caractère commercial ou politique. « Atini Kari » parle au nom de ceux qui justement demeurèrent longtemps sans « kar ». Pour ceux qui ignorent notre langue parlée, ce mot y signifie « valeur », « dignité », « honneur » ! Mais le slogan renvoie également au mot français « car », que nous utilisons souvent pour désigner les bus, toutes catégories confondues. « Atini kari » souligne donc d'un côté les bienfaits concrets du projet et de l'autre sa dimension hautement spirituelle. Offrir des bus aux enfants des campagnes isolées, permettre à des milliers d'écoliers de gagner quotidiennement leurs écoles, leurs collèges et leurs lycées dans de meilleures conditions, investir dans l'humain et dans le culturel pour une entreprise industrielle, c'est administrer la preuve que nos « capitalistes » n'ont pas tous des rocs et des déserts pierreux à la place du cœur et de l'âme. Arrêter de geindre Les initiateurs du projet « Atini kari » vont dans le sens diamétralement opposé de ceux qui ne cessent de geindre depuis le 14 janvier comme quoi la faillite menace leurs usines, leurs sociétés, leurs commerces, qu'ils se verraient obligés de licencier des ouvriers, qu'ils seraient bientôt tout proches du dépôt de bilan. Ce sont ces pleurnichards-nés, ces chialeurs invétérés que l'initiative « Atini kari » gifle, et à la face de qui elle lance un cinglant démenti : en effet, pour beaucoup de nos industriels et de nos commerçants, la Révolution fut une manne de Dieu pour soutirer à l'Etat des indemnités de dédommagement, pour se débarrasser d'une partie de la main-d'œuvre gênante, pour couvrir des pertes fictives, pour renouveler avec l'argent du contribuable un matériel usé et dépassé, pour garder stable le niveau des gains, et même pour faire fructifier la prétendue crise ! Lorsque les choses allaient beaucoup mieux pour nos entreprises, personne ne nous informait de leurs rentrées (même approximatives) ; les sociétés bénéficiaires ne révélaient pas leurs gains ; on ne nous disait rien sur le montant des fortunes de leurs propriétaires, ni sur le salaire de leurs PDG et de leurs DGA, ni même sur les primes de certaines charmantes secrétaires ! Mais quand il s'agit de crier sur les toits leurs déficits multiples, une bonne partie de nos entrepreneurs sont les premiers à menacer de fermer leurs usines si les pouvoirs publics ne les aident pas à s'en sortir. Cela s'appelle tout simplement du chantage ! Sur les 2045 entreprises affectées par la Révolution, il doit y en avoir quelques unes seulement qui ne peuvent pas se relever toutes seules. Les propriétaires des autres ont assurément les moyens de résister à la disette en puisant au fond des bénéfices de leurs « bonnes saisons ». Ils ne perdraient pas vraiment gros en gardant tous leurs ouvriers quitte à répartir autrement leurs payes. Mais, on craint pour les dizaines de milliards accumulés en banque, on craint pour les dépenses faramineuses de l'épouse et des enfants, on craint pour les projets nouveaux à lancer ; pour les nouveaux comptes à ouvrir dans des banques étrangères. Quant aux enfants des ouvriers dont les pères sont mis à la porte à la veille d'un Ramadan, d'un Aïd ou d'une rentrée scolaire ; quant aux montagnards privés encore en l'an 2011 d'eau, d'électricité et de moyens de transport ; quant aux écoliers menacés, à l'aller comme au retour, dans leurs vies au milieu des forêts touffues ; quant à venir au secours de tout ce monde, c'est toujours renvoyé aux calendes grecques. Nous osons espérer que l'initiative «Atini kari » fera des émules ; tant pis si cela fait de la publicité (gratuite ?) à certaines enseignes. Au moins, c'est plus mérité dans de tels cas. Tant pis aussi si c'est pour se faire exonérer du paiement de certains impôts comme à l'époque du fonds 26-26. La contribution à une forme de bien-être des familles déshéritées, l'aide aux nécessiteux, la participation aux grands projets à utilité publique, l'assistance des personnes âgées et sans soutien familial, l'aide à l'insertion sociale des jeunes délinquants, la promotion du savoir dans les milieux pauvres, tout cela c'est une dette payée au fisc humain et social. Notre Ministère des Finances ne verrait sans doute aucun mal à ce que les riches de ce pays se réconcilient directement avec les autres membres oubliés de leur grande famille : la Tunisie !