Il y a quelque temps, la ville de Sbeitla dans le Nord-Ouest tunisien était à feu et flamme. Chose devenue presque banale dans la Tunisie post-révolutionnaire, où au moindre différend, les gens se mettent à s'entre-tuer… Ainsi, il y a eu des blessés et même un mort, une jeune fille tuée par balles. Seulement, le seul endroit dans la ville où l'on peut sauver la vie des blessés fut aussi envahi par la population. L'hôpital a alors été saccagé et le personnel agressé. Cet incident malgré sa violence, n'est en fait pas le premier dans un pays où chacun cherche à faire sa loi et à établir sa justice et “tous les soirs le personnel des urgences, surtout régionaux sont exposés à des agressions plus au moins dangereuses allant du verbal au physique” s'indigne Dr. Néjib Chaâbouni, président du conseil national des médecins de l'Ordre. Il ajoute “les populations sont devenues plus exigeantes après la Révolution. C'est normal, puisque la Révolution s'est faite pour la dignité. Mais cette exigence reste dépourvue de toute responsabilité dans les actes, or tous les deux sont indissociables”. Dr Chaâbouni continue son explication “il existe plusieurs dépassement dans les salles d'urgence dans les hôpitaux régionaux, surtout quand il y a des manifestations. Les familles des blessés envahissent l'établissement et ont souvent des comportements incorrects. Le syndicat exige une protection plus rapprochée et plus intense des établissements et du personnel compte tenu des circonstances.” Quant au genre de protection, il précise “cela peut être l'armée ou tout autre genre de protection spécialisée en la matière, l'essentiel est d'assurer les meilleures conditions au personnel pour pouvoir faire son métier : soigner et sauver des vies.” Mais comme les populations se plaignent quelque-fois d'un laisser aller de la part des urgentistes et du personnel qui serait la cause de la mort de quelques patients, Dr Chaâbouni rétorque “comment peut-on le savoir et poursuivre un médecin ou un infirmier s'ils ne travaillent pas dans des conditions sécurisantes. Une fois la sécurité établie, nous pourrons, en ce moment là définir la responsabilité du corps médical dans la mort de quelqu'un et poursuivre le responsable s'il y a un laisser aller. Il faudra aussi donner aux hôpitaux la meilleure logistique possible et les moyens adéquats. Après la révolution nous nous sommes rendu compte du déséquilibre existant en la matière et dont souffre la région intérieure du pays. Nous avons créé une commission qui étudie actuellement la proposition d'une réforme dans la pratique de la médecine en Tunisie.” Afin d'avoir un témoignage sur une violence commise dans un hôpital régional, nous avons alors contacté M. Hrizi Nacer, surveillant général de l'hôpital de Sbeitla qui a déclaré que le personnel garde l'a informé quant à ce qui s'est passé la nuit du premier au 2 septembre à l'hôpital de Sbeitla et son propre constat des dégâts. “Il est vrai que la famille de la jeune femme tuée a provoqué les violences en agressant l'infirmier, mais la population locale a également profité de l'occasion et envahi les salles. Tout a été cassé, portes, fenêtres, tables, chaises et même matériels – électrocardiogrammes, tensiomètre et appareils de choc ont été brisés –des médicaments et de l'argent ont été volés. L'infirmier a eu le nez cassé et le médecin a dû se faire mettre des points de sutures… Nous avons l'habitude de gérer des dépassements, mais cette nuit fut horrible et il est temps que ces comportements cessent”. Roué de coups et pourtant il ausculte Dr Adel Rachdi, de garde ce soir là, nous raconte comment, l'hôpital fut envahi tout d'un coup par une centaine de personnes accompagnant six blessés. Enervées contre l'armée, rien n'échappait à leur colère dans l'établissement et alors qu'il auscultait les premiers blessés, il reçut lui-même un coup de poing sur le front. Il quitta la salle une première fois pour se réfugier dans la cour quand la famille de la jeune femme le rejoignit et le ramenèrent pour l'ausculter lui promettant leur protection. En fait, c'est sous les coups qu'il parcourut le chemin entre la cour et la salle, où il sut tout de suite que la victime avait rendu l'âme. Il a quand même pu s'échapper par la porte arrière refusant de s'exprimer sur l'état de la victime de peur pour sa propre vie. Dr. Rachdi souffre de fracture au nez et porte 6 points de sutures au front et 4 autres à la lèvre supérieure… Hajer AJROUDI
Communiqué du Conseil de l'Ordre des médecins Dans un communiqué, le conseil national des médecins de l'Ordre “exprime sa profonde préoccupation, suite aux multiples agressions verbales et/ou physiques perpétrées à l'encontre des médecins au cours de l'exercice de leurs fonctions. Il dénonce toutes formes de violences notamment celles qui ont touché récemment à la fois le personnel soignant et les établissements sanitaires. Il appelle les autorités compétentes à mettre en place, sans délai, des solutions concrètes en faveur de la protection et la sécurité du corps médical et paramédical. Le conseil national de l'Ordre des médecins veille aux conditions de l'exercice de la profession. Il invite les praticiens à saisir l'instance ordinale chaque fois qu'ils sont menacés sur les lieux de travail, et à déposer systématiquement une plainte, même en cas d'agression verbale : les insultes et menaces aux professionnels de santé constituent un délit pénal.