Le sociologue Abdessatar Sahbani, relativise. Même si, à ses yeux, les Tunisiens n'intègrent pas la donne économique. « Pour certains Tunisiens, l'Etat n'existe plus et ne doit plus exister, c'est l'eldorado où tout est permis » Neuf mois se sont écoulés après la Révolution tunisienne, le pays tarde à retrouver son calme et son équilibre socio-économique. Et si les derniers chiffres présentés lors du point de presse interministériel périodique rassurent plus ou moins les citoyens, les observateurs et les experts surtout dans le domaine économique, restent pessimistes. Ils s'inquiètent pour le développement du pays touché sévèrement touchés par les actes de violence, les sit-in et l'insécurité qui devraient normalement s'arrêter avec l'application rigoureuse de l'état d'urgence. En fait, nombreux sont les spécialistes qui s'inquiètent face à la situation générale dans le pays. Toutefois d'autres notamment les sociologues, ne partagent pas la même vision et se montrent même optimistes tout en relativisant ces phénomènes sociaux (manifestations, sit-in, protestations…). Dans une interview accordée à l'agence TAP, le sociologue Abdessatar Sahbani, également, professeur de sociologie à la faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis et président de l'Association Tunisienne de Sociologie, considère que « la situation actuelle, n'est pas mauvaise si nous comparons les effets de la Révolution tunisienne sur l'économie et la société, avec ceux d'autres Révolutions dans le monde dont les révolutions iranienne, cubaine..» a-t-il précisé, à l'agence TAP. Motivations Il explique par ailleurs, les motivations qui ont poussé les citoyens à adopter cette démarche pour améliorer leur situation socio-économique. « Pour certains, les grèves et les sit-in sont indispensables pour avoir gain de cause, avant les élections du 23 octobre 2011 », déclare-t-il à l'agence tout en qualifiant d' « individualisme solitaire », l'état d'esprit des Tunisiens. « Cela s'accentue en l'absence d'un contrôle judiciaire et policier », d'après le sociologue. Analysant la situation actuelle, le Professeur déclare qu'il « y a aujourd'hui ce qu'on appelle une « anarchie réglementée », signifiant qu'au nom de la légitimité révolutionnaire tout est permis. Les citoyens croient que c'est le moment au jamais d'obtenir ce qu'ils demandent sur tous les plans (emploi, augmentation salariale, amélioration de niveau de vie…). « L'état d'anarchie consiste, notamment, en un système de sécurité en déliquescence alors que ce dernier jouait pendant de longues années, le rôle de régulateur social », explique-t-il. Et d'enchaîner, « après le 14 janvier, l'appareil sécuritaire n'est plus en mesure de fonctionner, les policiers et les douaniers ont fait des grèves et se sont dotés de syndicats pour affirmer leurs revendications ». Les gens croient, également, qu'ils peuvent tout se permettre au nom de la Révolution. « Pour exprimer leurs demandes, ils essayent de construire un réseau de coalitions collectives (entre familles, voisins, tribus…) pour s'attaquer à l'Etat » précise le sociologue, « citant l'exemple des logements anarchiques construits en groupe. Il s'agit, selon lui, d'un passage de l'individualisme solitaire à un individualisme solidaire ». Individualisme Malheureusement, ce passage de l'individualisme solitaire à celui de l'individualisme solidaire ne prend pas en considération l'intérêt général ni l'équilibre économique du pays. Le sociologue, l'a bien dit. « La grande majorité des tunisiens accorde très peu d'importance aux problèmes économiques, au fléchissement des investissements, à l'impact de la crise libyenne sur le pays, à la floraison du secteur informel, à l'absence des structures de l'Etat. Ce qui les intéresse, c'est plutôt la gestion du quotidien », explique-t-il. Et d'ajouter : « tant que les entreprises fonctionnent et assurent les services de base (eau, électricité, télécommunications, soins médicaux..), que l'approvisionnement des marchés continue normalement, et que les salaires sont versés régulièrement, les gens ne se rendent pas compte de la crise économique »…. Ce n'est pas tout. « Pour certains Tunisiens, l'Etat n'existe plus et ne doit plus exister, c'est l'eldorado où tout est permis, tout est possible et c'est le sens même de la Révolution », d'après lui. Certes, c'est le sens même de la Révolution, mais les citoyens, toutes catégories confondues en ont raz le bol. Ils attendent avec impatience l'application rigoureuse de l'état d'urgence pour que la vie quotidienne reprenne son rythme et mettre un terme aux dépassements. Les événements qui se sont produits dernièrement à Hergla, ainsi qu'à Mnihla et à Ettahamen ne rassurent pas. Nous sommes bel bien en état d'urgence ?