• Moncef Cheikhrouhou évoque l'exemple de la Chine : il s'agit de business-plan et de prise de risques…A terme, les fonds souverains réengagent la bataille • Mohamed Mabrouk : « Payons nos dettes ! Car à ce train, nous imputons aux générations à venir nos excès de consommation actuels » Le débat sur « les modèles économiques et les mécanismes de financement » à adopter et à suivre dans Tunisie de l'après Ben Ali polarise l'attention. Opter ou non pour l'endettement massif afin de financer une économie qui peine à décoller, sinon comment créer de la richesse, alors que tout le monde est presque unanime quant à la modestie des ressources de la Tunisie ? On est cependant unanimes dans les rangs des économistes tunisiens quant au défi de la période à venir. Il s'agit de la réalisation d'un taux de croissance à deux chiffres et à mieux partager les richesses produites par la suite. Quel modèle économique pourrait répondre à cette préoccupation, et comment s'assurer que le développement profite équitablement à tous ? Dans quelle mesure le nouveau modèle pourrait-il cohabiter avec l'ancien, du moins sur les aspects relevant d'engagements bilatéraux ou multilatéraux déjà pris par la Tunisie ? C'est à ces questions et à bien d'autres que l'association Nouvelle République (NOU-R) a voulu répondre en invitant une panoplie d'experts et d'économistes et de l'étranger. Repenser tout un nouveau modèle économique dans les temps qui courent ne relève pas de la plus simple des tâches d'autant plus que les premières estimations du coût de la relance économiques parlent de plusieurs milliards de budget ? « Comment financer sa mise en œuvre ? Comment éviter de se retrouver dans 10 ans dans la situation de la Grèce aujourd'hui»? Les fonds propres en premier Il nous faudrait « une gestion à court terme de nos problèmes, tout en ayant une vision structurelle à long terme. La structure du bilan de la Tunisie doit être saine, comme elle doit l'être la structure des entreprises », dit Moncef Cheikhrouhou, économiste et professeur universitaire. Selon lui « il faudrait que le « equity » (le capital) et les fonds propres soient suffisants dans notre pays. Il ne faut que l'on vive à crédits parce que l'effet de levier qu'on ne cesse d'évoquer peut balancer de l'autre côté » Si les IDE peuvent être incluses dans les dettes ? Les IDE (Investissement Direct Etranger) sont liés au mot émergence, explique aussi Moncef Cheikhrouhou, « la Chine, dit-il, est un pays communiste. Il n'avait rien au départ pour être par la suite le pays communisto-capitaliste, si on ose dire, qu'il l'est actuellement. La Chine n'a commencé à croître que quand des Chinois basés à Singapour, ont investi un milliard de dollars dans l'économie de leur pays. Ce ne sont ni les Américains, ni les Européens ni les Arabes qui ont investi les premiers. Alors, le jour où on verra le premier milliard de dollars ou d'euros investi par des Tunisiens de l'extérieur, c'est à ce jour que l'on pourra dire que la confiance est rétablie. Cela fait partie du haut de bilan, et non pas de la dette, il s'agit de la prise de risques des uns avec les autres ». Quand l'Etat tunisien lui avait demandé, en 1983, d'imaginer un modèle financier pour le projet de nettoyage du Lac de Tunis « l'aménagement de cette zone de 3000 hectares d'eau et 1200 hectares de terrain, soit le tiers de la ville de Tunis qu'il fallait nettoyer et aménager : Tout ceci a été fait sans aucune dette pour l'Etat. Il fallait travailler sur le haut du bilan : on montre le business plan à des investisseurs, qui disent si c'est un bon ou un mauvais projet, si c'est bon que nous émettions des certificats participatifs et non pas s'engager dans des prêts ». Il s'agit, souligne-t-il encore de la prise de risque et prise de profit avec la Tunisie, et non pas des prises d'intérêts au dépend du pays. » Quels types de financements de l'économie tunisienne ? Pour Mohamed Mabrouk, économiste venu soutenir l'idée que l'équilibre extérieur est le fondement d'une économie saine, « les IDE représentent de la dette. Certains IDE ne peuvent pas être considérés comme des dettes, mais d'autres sont des engagements de paiement de dividendes, soit une transformation de dinars en devises étrangères, ce qui veut dire une atténuation du niveau du déficit budgétaire de la Tunisie. La Tunisie paye des dettes de prés de 2 milliards de dinars pas an. Et j'attire par ailleurs l'attention, dit M. Mabrouk, sur la spirale d'endettement qui nous englouti en Tunisie aujourd'hui : nous ne sommes pas dans une situation où nous sommes en train de payer nos dettes, contrairement à ce que les chiffres indiquent sur la baisse de notre taux d'endettement. Ce dernier va en crescendo et cette spirale d'endettement veut dire que nous portons sur les générations à venir nos excès de consommation actuels. Et le sentiment qui prévaut c'est celui qui paye le loyer alors qu'il habite chez soi, un loyer dont les coûts ne cessent d'évoluer d'une année à l'autre ce qui nous pousse à chercher des crédits pour payer les premiers crédits. Cette situation nous poussera à nous délester par la vente de nouveaux actifs, d'où le danger de la situation». Contrairement à ce qui circule, « le taux d'endettement de la Tunisie dépasse de loin le taux de 100% d'endettement et non pas de 48% comme on le dit » dit encore Mohamed Mabrouk. Tertiarisation de l'économie tunisienne D'après les différentes interventions, et malgré le point de divergence ayant pu exister entre les unes et les autres, une déduction coule de source ; dans ce modèle économique nouveau pour la Tunisie, il faudrait surtout compter sur les connaissances : la tertiarisation de l'économie nationale doit passer par ce que beaucoup d'économistes appellent des modèles de type KBE (Knowledge Based Economies : Economies basées sur les connaissances), ou le VCI ( Value Chain Intergration : l'intégration des chaînes de valeur). Selon beaucoup, l'adoption de tels modèles devrait favoriser au même moment le transfert technologique et la levée de capitaux capables de favoriser le développement d'autres modèles économiques générateurs d'emploi. Mais pour pouvoir avancer, il faudrait jeter un coup d'œil sur ce que les Tunisiens ont hérité de leur ancien régime. Selon M. Cheikhrouhou, abordant de nouveau la question de l'endettement « les chiffres démontrent que le taux de l'endettement en Tunisie est de 37%, ce qui peut provoquer encore plus d'endettement. Il faut bien faire attention, le déficit de la balance de l'Etat, qui était de 2,5 % donnait bien l'impression qu'on pouvait passer au dessus du seuil des 3% dicté par les institutions financières. On est ainsi passé à 3, 2% et actuellement nous sommes à 5,7%. Soit le double du taux permis ». Et De là la question la plus importante: est-ce-que cette dette qu'on est en train de contracter au nom de la Tunisie est en train de réussir les objectifs pour lesquelles elle a été acquise ? « C'est comme si on injectait du carburant dans le moteur d'un véhicule, mais que ce dernier ne roule pas à la vitesse escomptée » explique M. Cheikhrouhou. Selon lui « une éthique des dettes doit être adoptée par le parlement tunisien qui sera élu. La décision de s'endetter ne doit plus être celle des bureaucrates, la décision de s'endetter doit être celle du peuple ». Et d'ajouter que « la Tunisie est condamnée à l'émergence, pourquoi d'autres pays tels que l'Inde ou la Turquie émergent, alors que ce n'est pas notre cas » ? Peut être bien parce que ces pays se classent beaucoup mieux que la Tunisie dans le rapport de la Transparency International, où l'on est classé dans le 70ème rang des pays les moins corrompus dans le monde.