Le Temps : Comment avez-vous été persécuté par les sbires de Ben Ali ? Abdelkader Boualleg : Du temps de Ben Ali, j'ai été persécuté par la police politique parce que je priais à la mosquée. J'étais un simple étudiant en Droit et musulman pratiquant. On m'a agressé et incarcéré en m'accusant d'organiser des rassemblements secrets. J'ai été accusé de salafiste alors que ce n'était pas le cas. J'ai été condamné à 14 ans puis libéré 4 ans plus tard. D'étudiant en Droit à la faculté de Sousse et après un passage par la prison, mon avenir a été à jamais hypothéqué dans mon pays. En 2002, je suis, donc, parti en Allemagne afin de me refaire une vie et aider ma famille.
Dans quelles circonstances a été tué votre frère ?
Aujourd'hui, soit 8 ans plus tard, cette même police arrache la vie à mon frère unique, lui qui n'avait que 17 ans ! Il s'appelait Omar et est sorti le 13 janvier manifester pacifiquement avec un petit groupe de 8 personnes dont le plus âgé n'avait que 19 ans. Ils scandaient : «A bas le dictateur !». Le chef de poste de police «Beb Bhar» de la ville de Soliman, Gouvernorat de Nabeul, l'assassin Mourad Riahi a d'abord tiré deux fois en l'air pour leur faire peur et voyant que les jeunes manifestants persistaient dans leur revendication, il ressortit de son bureau et tira froidement sur mon frère qui reçut une balle juste au-dessus du cœur. Un second manifestant et ami de mon frère se rendant compte du décès de Omar, protesta face à l'assassin sous le choc, il lui tire dessus. Il s'appelait Wael El Agrebi et n'avait que 18 ans…
Maintenant que le procès est entamé, comment se passent les choses ?
Maintenant, j'ai six avocats, qui se sont portés volontaires pour défendre le dossier de mon frère. Ils ont demandé au médecin légiste d'exhumer les corps d'Omar et Wael pour localiser les balles qui demeurent encore dans leurs corps…L'un de ces avocats, Faouzi Ben Mrad était mon professeur à l'université. Je me suis dit que si on m'avait laissé poursuivre mes études, je serais moi-même avocat. J'aurais réalisé le rêve de ma mère et aurait défendu la cause de Omar. Durant cette première audience, l'accusé a été auditionné par le juge qui lui a clairement dit qu'une vidéo a filmé son acte criminel et que 80 témoins oculaires étaient présents sur la scène du crime. Niant complètement ces accusations, il déclare que c'est plutôt Hbib Hamrouni et Ghazi Ben Thabet aux postes de Grombalia et Hammam Sousse, qui ont été mutés après les événements, qui ont commis le crime.
Comment vivez-vous des moments pareils ? Êtes-vous optimistes ?
On est assoiffés de justice et d'équité. Je remercie Dieu que l'affaire des martyrs aient été portée devant le tribunal militaire et non pas le tribunal civil. Si c'était le cas, on ne serait jamais sorti de l'auberge. On aurait déchiré les dossiers et l'affaire auraient été escamotée. Je tiens à remercier les avocats qui malgré mon insistance ont tenu à ne recevoir aucun millime en me répondant que leur seul désir c'est travailler pour la Révolution et pour la cause des martyrs. Maintenant que les accusés ont été mutés dans d'autres postes et courent en liberté, je rappelle que Mourad Riahi a été affecté à l'Ariana, on aimerait savoir comment fait-on laisser des criminels encore dans leur poste ?? Quant au cours du procès, ils m'ont dit que ça prendra maximum 6mois. Je devais retourner en Allemagne reprendre mon poste le 28 janvier, mais je ne partirai pas tant que l'affaire est en cours. Quitte à perdre mon emploi, j'ai perdu mon frère unique, mon sang et mon ami…