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« Je pense qu'on est toujours responsable de son image. Et puis je ne suis pas effrayé par Ennahdha » Rencontre avec Christian De Villeneuve ex-Directeur Général du Parisien, puis du Groupe Lagardère
« Je suis fâché avec mes compatriotes parce que ce sentiment de crainte à l'égard de la Tunisie, ne se justifie pas » « Un petit peuple qui pense grand ». Cette formule revenait sans cesse dans ce dialogue avec un mastodonte des médias français, Christian De Villeneuve, 60 ans, et avec une carrière impressionnante. Après sciences Po à Grenoble avec à la clé une maîtrise en économie, il débute chez la gauche au matin de Paris. Il ne nie pas, à cette époque, une certaine sensibilité de gauche - qui ne l'a pas à 20 ans - mais, très vite, sa carrière s'accélère et prend d'autres trajectoires. Rédacteur en chef en France de Keader's Digest ( 100 millions d'exemplaires de par le monde) avant de présider aux destinées du Parisien, dont il a été Directeur des Rédactions durant 12 ans. Mais il migre. Très demandé et lui-même craignant peut-être ce syndrome qu'on appelle « le seuil d'incompétence » ou « si vous voulez » la théorie de Peter », il s'en va relever un nouveau challenge comme Directeur Général de toutes les rédactions du Groupe Lagardère : France Soir, Paris Match, Journal du Dimanche etc… Aujourd'hui, il se consacre à ses livres tout en étant consultant Directeur Editorial de Turf Edition. Et il gère son temps entre ses occupations parisiennes et la passion qu'il voue à la Tunisie, à Zarzis particulièrement où il est propriétaire d'une villa fantastique, front de mer, acquise auprès du Groupe Sangho. C'est là qu'il m'a invité à dîner et, le lendemain, à déjeuner. Il avait et a beaucoup à dire sur cette Tunisie qu'il fait sienne, dont il ressent les pulsions au plus profond de son âme et dont il parle d'ailleurs avec moult détails,tantôt émerveillé, tantôt inquiet et cela se lisait sur son visage. « On est responsable de sa propre image » « Oui, je persiste à croire que la Tunisie est un petit pays qui pense grand ». A l'époque de la langue de bois, on disait plutôt « qui voit grand ». Non De Villeneuve n'est pas dans cette logique. Et d'ailleurs il précise : « J'ai gardé des relations immaculées avec la Tunisie parce que je n'ai jamais écrit sur elle, c'est-à-dire sur un pays que j'aime trop pour encenser un président qui se fait réélire à 99%. J'aurais été malhonnête vis-à-vis de la Tunisie. En revanche les équilibres macro-économiques étaient bons… » Il marque un temps d'arrêt, puis il enchaîne : « Vous savez moi je pense qu'on est responsable de sa propre image. Il y a aujourd'hui, un mouvement inéluctable que matérialise une exigence pressante de démocratie… » Ennahdha peut-elle satisfaire à cette exigence lui demandai-je ? « Ennahdha doit devoir composer avec son idéologie » « Je ne suis pas effrayé par Ennahdha. Elle est obligée de composer avec la société civile, qui, elle, à l'évidence par le plus banal des mouvements pendulaires se repositionnera dans le centre-gauche. Bien entendu il y a des hauts et des bas. Sauf que lorsqu'on prétend réaliser une croissance de 4,5%, là l'enjeu devient lourd d'implications dans le sens qu'il ne faut négliger aucun secteur, surtout que 2011 a vu tous les clignotants virer au rouge. » Là, c'est l'économiste qui parle. En termes simples et quelque part aussi avec des réserves. Il dépasse très vite les contingences économiques et revient vers Ennahdha : « Voyez vous, l'impératif économique ne saurait être dissocié de l'impératif politique. Je pense tout simplement au tourisme : sur ce plan Ennahdha doit devoir composer avec son idéologie. Si l'on veut attirer les touristes européens on doit rassurer le sentiment de liberté dans toutes ses formes et tous ses apparats. Dans ce cas, par exemple, et pour peu que d'autres conditions soient remplies, on aboutira à une République islamique modérée »…Du type modèle turc, comme le conçoit Rached Ghannouchi rétorquai-je ? « Alors là, non ! Je ne pense pas que la Tunisie qui a des atouts spécifiques ait besoin de copier le modèle turc, car c'est une autre logique, une autre histoire et un peuple différent. Et je me demande d'ailleurs pourquoi allez chercher ailleurs ce que vous avez déjà. La Tunisie fait l'apprentissage de la Démocratie et il y a des excès, c'est un fait. Mais la Tunisie a des atouts importants : un peuple extrêmement cultivé et d'une extrême gentillesse. Je viens régulièrement ici depuis déjà 20 ans : ce peuple est fantastique. Mars et avril derniers je me rendais aux frontières avec la Libye et je voyais comment la Tunisie a donné l'hospitalité à 700.000 étrangers – Libyens, Africains, Chinois etc… » La Tunisie doit apprendre a communiquer à sa mesure « Je rebondis sur ce constat. Je lui pose cette question : Mais alors pourquoi ce désengagement des Français, ces craintes… « Autant vous dire que je suis très fâché avec mes compatriotes. Il y a, c'est vrai, un grand sentiment de crainte à l'égard de la Tunisie justement parce qu'en France et en Europe, on mélange tout. Je voyais, la mort dans l'âme, des jeunes partir vers Lampedusa. Les Européens, les ont mal reçus. Sauf que la Tunisie doit apprendre, aujourd'hui, à communiquer à sa mesure. C'est cela une Démocratie en construction : communiquer » D'accord, mais des sites sérieux en France appellent les Français à ne pas se rendre en Tunisie, lui-fis je observer « Les Français se laissent impressionner par la rumeur de l'insécurité. C'est vrai que février dernier, il n'y avait ni police, ni militaire, ni rien. On voyait des excès partout. Mais personnellement, je n'avais pas un sentiment d'insécurité. Une fois je me suis rendu à la frontière libyenne où je suis tombé sur des Salafistes. Mais c'était rien !... Je pense qu'il faut être patients. Je m'adresse aux Tunisiens comme à mes compatriotes français : dans un an, un an et demi, ça se tassera et les résultats y compris sur le plan sécuritaire seront différents. Combien de temps l'Europe a-t-elle mis à se stabiliser après ses révolutions ? Et c'est là que c'est important. Sur ce plan la Tunisie est une exception : cette Révolution s'est faite sans effusion de sang. Ça l'histoire l'écrira ! » Mais alors comment expliquer ce désengagement de la France ? « On est condamné à 100 ans avec la France » Christian De Villeneuve refuse, pour principe, le mot désengagement : « Il y a une communauté de langue. Il y a – et vous le disiez vous-même tout à l'heure, une âme arabe de la France » à laquelle celle-ci ne saurait se soustraire. Les entreprises françaises, à ce que je sache n'ont pas quitté la Tunisie. Vous savez on dit toujours qu'on est condamné à 100 ans avec la France. Sans doute ce que les Tunisiens prennent pour des flottements français au lendemain du renversement du régime Ben Ali est-il interprété comme un désengagement. Il y a seulement que c'était imprévisible. Après l'immolation de Bouazizi on avait commencé à s'interroger. Sauf que MAM n'a pas été bonne dans certaines approches spéculatives. Puis la France a laissé venir. Mais soyez sûr qu'elle est là et qu'elle est historiquement – presque génétiquement, dirais-je – impliquée avec la Tunisie. » La même implication qu'avec la Libye, une question qui s'imposait d'elle-même ? « Non, a conclu De Villeneuve. La Libye est une affaire ponctuelle et relativement géostratégique ». Tout un débat finalement. Christian De Villeneuve exprime là le langage du cœur qui, quoique sans façon d'être dedans et équidistant à la fois, lui confère une grande latitude. Le constat d'un homme d'une simplicité déconcertante mais qui fait son introspection à travers les mouvances de l'époque. Qui s'isole, se ressource et repart dans la vie, dans le témoignage dans les ferveurs indicibles de l'intensité lucide.