Résolument positionné dans le monde d'aujourd'hui, l'Institut du Monde Arabe de Paris présente l'exposition « Dégagements. La Tunisie un an après », du 17 janvier au 1er avril 2012. « Dégagements… » propose de découvrir une sélection d'œuvres contemporaines et pluridisciplinaires d'artistes majoritairement tunisiens dont le travail se situe au carrefour de l'engagement artistique et de l'acte révolutionnaire. L'exposition est aménagée sur deux étages, dans un espace ouvert et décloisonné qui privilégie le parcours libre de la visite. Une liberté de mouvement qui fait écho à la « liberté de circulation » au sens large, mais qui renvoie aussi à l'expression des singularités artistiques, comme autant d'appropriations de l'expression desTunisiens depuis la révolution. Appropriation de l'espace que l'on retrouve avec le « Mur d'expression libre » intégré au parcours, à disposition du public, symbole d'une « démocratisation artistique » qui prend tout son sens dans une exposition qui interroge les enjeux de la liberté de penser et de créer en Tunisie aujourd'hui. Des œuvres d'exception La vingtaine d'artistes choisis par le commissariat de l'IMA sont tous d'origine tunisienne, à l'exception notable de la Marocaine Majida Khattari et du Malien Abdoulaye Konaté, qui signent pourtant deux œuvres d'exception, échos de la Révolution tunisienne, qui auraient sans doute leur place dans le futur (mais encore hypothétique) Musée d'art moderne et contemporain de la Cité de la Culture de Tunis. Le Libanais Ali Cherri expose également un travail inspiré du soulèvement tunisien. Les 48 tirages numériques sur aluminium de la série « Postcards from Tunisia » de Wassim Ghozlani nous dévoile un paysage authentique, bien loin de la carte postale kitsch. L'artiste présente ainsi la réalité tunisienne telle qu'elle est, bien différente d'une Tunisie fantasmée que les Tunisiens se créent parfois eux-mêmes. W. Ghozlani fait apparaître la nécessité d'une «décolonisation du regard et de l'esprit» pour construire la Tunisie post-Ben Ali. Par ailleurs, il ambitionne d'ouvrir la première Maison de la photographie à Tunis, témoignant d'une soif de voir apparaitre de véritables institutions culturelles. Volonté qu'exprime aussi Halim Karabibene avec son œuvre photographique ironiquement intitulée « le Comité populaire pour la protection du musée national d'art moderne et contemporain de Tunis ». Ses tirages numériques représentent une série de portraits de soldats-gardiens, palmes de plongée aux pieds, habillés en tablier de cuisine avec pour armes préventives des ustensiles de jardinage, des cocottes, etc. Subversion et humour bien placés sont aussi des outils de revendication puissants ! Quant à la vidéaste Nicène Kossentini, elle présente une vidéo d'environ six minutes particulièrement significative intitulée « Le Printemps arabe » qui révèle des angoisses enfouies dans l'inconscient collectif. Une composition visuelle sur un fond sonore évoquant le bruit des pas d'une armée en marche – ou une foule frappant à l'unisson dans les mains. Il s'agit plus précisément d'une abstraction ornementale en rotation qui dévoile les appréhensions de la société tunisienne face à une identité culturelle qui se perd et un présent qui se disloque au fur et à mesure que ce lien avec le passé s'étiole. Les artistes cités ici ne représentent qu'un échantillon subjectif d'un ensemble d'œuvres qui méritent toutes d'être découvertes et soumises à l'œil critique des visiteurs avides d'expressions artistiques issues de l'art contemporain. S'inscrire dans le présent Toutefois, « Dégagements… » ne se contente pas de mettre l'accent sur la mise en marche du processus démocratique, elle témoigne également de la volonté des artistes tunisiens de rejoindre la scène internationale de l'art contemporain. Une telle exposition inscrit les artistes tunisiens dans une histoire de l'art universelle et rompt avec l'idée selon laquelle l'art contemporain serait une notion strictement occidentale. La contemporanéité en art n'est ni d'Orient, ni d'Occident. C'est un processus en perpétuel renouvellement, similaire à la démocratie en politique, issu du peuple souverain et non importé d'ailleurs. Les Tunisiens, en mettant au service de la révolution les réseaux, médias et moyens de communication, ont fait preuve d'une grande contemporanéité qui se retrouve dans la qualité de ses expressions artistiques actuelles.