• Séparer la fonction de gouverneur de celle d'un président du conseil régional de développement • Donner plus de pouvoirs aux régions • Supprimer le pouvoir de la tutelle Les travaux des différentes commissions constitutives se poursuivent à l'Assemblée Nationale Constituante (ANC), en écoutant différents experts. La commission des collectivités locales, présidée par Imed Hammami a fait appel hier au Doyen et professeur de Droit administratif, Hafedh Ben Salah lequel s'est distingué par un débat fructueux sur différentes questions concernant le fonctionnement des collectivités publiques locales, la décentralisation, la déconcentration, le rôle des conseils régionaux de développement. Leurs membres doivent-ils être tous élus, y compris leur président ? Le gouverneur doit –il prendre part aux travaux de ces conseils ? Le professeur Hafedh Ben Salah, s'est étalé sur le rôle de la décentralisation et ce qui la distingue de la déconcentration tout en présentant l'état des lieux. Lorsqu'une banque ouvre une agence dans une région, ce n'est pas de la décentralisation. C'est plutôt de la déconcentration. L'Etat qui dispose de ses institutions centrales sises à la capitale, a besoin d'agents à l'intérieur de la République. Les structures régionales relevant de l'Etat sont des structures déconcentrées. Les gouverneurs et les délégués ne représentent pas les habitants, mais l'Etat. Comme les directeurs d'écoles, ou de dispensaires, ils sont subordonnés au pouvoir hiérarchique de l'administration centrale. Par contre le président d'une municipalité représente les habitants. Hafedh Ben Salah, précise qu'il ne faut pas considérer uniquement le niveau local, « le gouvernorat est une collectivité locale large ». Dès qu'on parle de décentralisation on rejoint les soucis et attentes des habitants. La décentralisation en Tunisie est administrative. Elle concerne le service local qui doit être conforme au service national. Sessions ouvertes La loi 1975 organisant le fonctionnement des municipalités, stipule que les sessions du conseil municipal sont ouvertes aux habitants qui y expriment leurs doléances. Ils prennent des décisions dans un cadre limité. Ces collectivités locales ne concurrencent ni l'Etat, ni les régions. Des critères matériels et territoriaux définissent le rôle de ces collectivités. Toutefois, les moyens dont dispose l'Etat dépassent largement ceux dont disposent les municipalités qui manquent cruellement de ressources humaines et matérielles. A titre d'exemple, des municipalités accordent des autorisations de bâtir, sans disposer d'architectes ou un d'ingénieurs en béton. En Tunisie 260 municipalités ont été créées en 50 ans. Une bonne proportion du territoire national est en dehors des zones communales. « Des municipalités avec 30.000 et 40.000 habitants ont un budget de 30.000 dinars, inférieur à celui d'une famille », déplore le conférencier. D'ailleurs, les municipalités n'ont pas d'agents de recouvrement des impôts locaux. En plus la question du contrôle de l'action municipale se pose avec acuité. « Ce contrôle est lourd et affecte le travail des élus municipaux. Toutes les municipalités se ressemblent. Dans chacune vous trouverez une horloge, un bureau de poste... C'est trop. Ce sont des réalisations de l'administration déconcentrée et non décentralisée. Les municipalités disposent de leur siège. Leurs présidents regardent en haut au Gouverneur qui les contrôle », affirme le conférencier. Il rappelle que les délibérations des conseils municipaux sont déposées au siège du gouvernorat. Le gouverneur dispose d'un délai pour faire opposition à ces délibérations. Entre temps, la municipalité doit attendre pour concrétiser ses décisions. « Il faut réorganiser les rapports avec la hiérarchie. Dans certains pays l'Etat n'exerce aucune tutelle sur les municipalités. Si des dépassements sont constatés, ce sont les tribunaux qui tranchent. Le gouverneur, n'étant pas élu, contrairement au président d'une municipalité, il peut pour des raisons politiques minimiser ou faire saborder l'action de la municipalité alors que le magistrat est impartial. L'idéal est de mettre toutes les institutions sur le même pied d'égalité devant la loi », ajoute le Doyen. Pour s'y mettre, il faudra revoir la carte judiciaire. Il faut instaurer des tribunaux administratifs dans les régions. « L'essentiel est de dépasser l'amalgame et de séparer l'action municipale de l'action politique. Certains juristes arrivent à la conclusion pour déduire que les élections municipales n'ont pas de connotation politique. Elles diffèrent fondamentalement des élections parlementaires ou présidentielles », dit le conférencier. Chaque municipalité a ses caractéristiques culturelles, historiques et naturelles. L'émulation entre les municipalités est importante. C'est un facteur de développement. « Il faut faire en sorte de limiter le pouvoir de la tutelle ou le supprimer », suggère le Doyen. Une autre défaillance est constatée. L'Etat peut créer des établissements et des institutions. Ce n'est pas le cas des municipalités. Elles doivent être en mesure de le faire. Refus de l'Etat Par ailleurs, la décentralisation régionale a posé beaucoup de problèmes depuis l'indépendance. «L'Etat refuse la représentation régionale des habitants. Il tient à confondre la décentralisation et la déconcentration régionales et les soumettre au pouvoir du gouverneur ». Il préside les administrations régionales et le Conseil régional de développement où siègent les représentants du peuple au pouvoir législatif. Toutefois, les députés ne peuvent participer efficacement au travail dans les Conseils régionaux de développement. Dans certains gouvernorats, il y a plusieurs circonscriptions électorales. Le conférencier n'est pas opposé au cumul de responsabilités dans les conseils régionaux et dans la chambre des députés, sauf la constitution l'interdit. Le conférencier tient à ce que les Conseils régionaux de développement soient composés de personnalités élues, y compris le président de cette instance. Il suggère de séparer la fonction de Gouverneur de celle de président du Conseil régional. La fonction de gouverneur doit rester car l'Etat a besoin de maîtriser le territoire. En même temps, le Conseil régional de développement doit fonctionner, hors de toute tutelle et en toute indépendance. Le conférencier reproche à l'ancien pouvoir l'inégalité du développement, qu'il explique par le fait que les décisions étaient centralisées dans la capitale, en dépit de l'importance des crédits alloués à ces régions. Alors qu'en réalité ces crédits devraient être mis à la disposition des conseils régionaux qui sont les mieux placés à juger des besoins de leurs régions. Certains constituants pensent que le Gouverneur doit assister aux réunions du Conseil régional de développement qui est un organe délibérant, chose que le conférencier n'accepte pas argumentant que cela diminuerait le rôle du président élu. Les conseils régionaux doivent avoir des ressources propres à travers la fiscalité. Ils doivent pouvoir prendre des initiatives et attirer les investisseurs. Il faut savoir écouter les régions, car elles ne se ressemblent pas. Les représentants des régions doivent-ils siéger dans une chambre à part, comme le Sénat ? Le conférencier pense que les présidents des conseils régionaux ne doivent pas siéger dans pareille chambre, pour éviter les considérations régionalistes en la représentation politique. Globalement que ce soit dans les municipalités ou dans les Conseils régionaux de développement, il faudra libérer les initiatives et permettre à l'habitant de jouer un rôle central à travers les élections.