«Si vous ne voulez pas de pépins, évitez le noyautage.», Les slogans de mai 68 Hier, plus de 20 mille Tunisiens se sont réunis à l'avenue Habib Bourguiba. Cette foule humaine énorme a répondu à l'appel de l'UGTT et l'UTT. Sauf que pour cette année, le 1 er mai sentait le roussi. Après une déclaration publique, le 28 avril, de la part du parti majoritaire à la tête du gouvernement, dans laquelle on incite les partisans d'Ennahda à participer massivement, la centrale syndicale, demeure à cheval sur ses principes et sort un communiqué corrosif, deux jours plus tard, dans lequel l'UGTT dénonce le travail incompétent et douteux du gouvernement rappelant les derniers chamboulements qui ont ébranlé le pays depuis quelques mois. La tentative d'apprivoiser et de dompter la centrale syndicale a avorté. Néanmoins, hier, sur le terrain, la célébration du travail a été bel et bien noyautée. Un saut rétrospectif dans l'Histoire Un certain 1er mai 1868, aux Etats-Unis, les syndicalistes ouvriers exercèrent la première et historique pression sur leurs employeurs et leur gouvernement pour écourter la journée du travail à 8 heures. Reprise par le Vieux continent, la date reste, désormais dans les annales et reçut plusieurs appellations aussi paradoxales les unes que les autres : «Journée internationale des travailleurs», «Fête des travailleurs» ou encore «Fête du Travail». Paradoxales parce que l'on chôme dans cette sainte journée. En réalité, c'est sous le régime de Lénine, en 1920, que la Russie soviétique a fait du 1er mai, un jour férié chômé. Suivie par le reste de l'Europe. Mieux encore, voulant gagner la sympathie ouvrière, en 1933, Hitler, fait de cette journée, une fête chômée payée. Symbole de la lutte ouvrière, le 1er mai s'enracinent dans les traditions tunisiennes depuis que la Tunisie était sous le protectorat français. Or, depuis belle lurette, la célébration de la journée des travailleurs ne s'est plus cantonnée aux nombres d'heures de travail par jour. Bien d'autres revendications envahissent le terrain résumant le contexte dans lequel la manifestation a lieu. Un 1er mai haut en couleur et en symboles La marche a commencé à 9h après le discours de M. Houcine Abessi, le Secrétaire général de l'Union générale des travailleurs tunisiens, devant le siège de l'UGTT. Dès les premières heures du 1er mai, arpentant les grandes artères de centre ville de Tunis, les manifestants avançaient dans une sorte de procession quasi-religieuse. Auréolés du drapeau tunisien, de celui de l'UGTT et brandissant une multitude de banderoles portant des messages protestataires, les fêtards réjouis et les désenchantés déterminés s'agglutinaient pour se réunir à l'avenue Habib Bourguiba, le cœur battant de la Tunisie. La scène réunissait des visages blêmes et d'autres souriants, petites et grandes manifestations éparpillées par-ci et par-là. Tout le monde y trouvaient son compte ou presque… Les petits commerçants ambulants vendeurs d'un jour et chômeurs le reste de la semaine, ont célébré à leur manière la journée du travail, proposaient aux passants des écharpes, des ballons et des drapeaux aux couleurs de la patrie. D'autres encore vendaient les petites choses à grignoter, du pop-corn, du pain fait maison, des bonbons artisanaux et du kaki pour les plus gourmands. Les chômeurs d'un jour rejoints par les chômeurs tout court, ont manifesté tout au long de l'avenue, criant leur ras-le-bol de la cherté de la vie, les promesses électorales non-tenues, les quiproquos accumulés lors de ces derniers temps. La majorité des présents réclamaient une union nationale pour le bien de la patrie. Sauf que la marche qui se voulait purement syndicaliste et revendicatrice, s'est métamorphosée en manifestation noyautée. Un 1er mai diablement politisé Maître du jeu, l'UGTT et l'UTT, se sont vus évincées par la présence de plusieurs représentants et partisans de partis politiques. La Gauche, la Droite, le parti républicain et l'Opposition, toute cette mosaïque politique hétéroclite a infesté la marche syndicaliste du 1er mai. On en profitait pour distribuer des tracts, des slogans, louer les mérites de son parti et se faire de la pub. En somme, une campagne électorale avant l'heure. Des bus blancs avaient même déposé à la Place Mohamed Ali, des manifestants dont l'apparence illustrait leur appartenance à un seul et même mouvement. D'autres fredonnant des chansons de football et armés de percussion (tambours et sifflets) couraient les rues provoquant les passants. Dégouté, un grand nombre de manifestants ont préféré quitter les lieux. Ces lieux qu'ils jugent «infiltrés et souillés par les politiciens». «La marche du 1er mai a perdu son côté revendicatif. La fête des travailleurs a bien été souillée. C'est devenu tout simplement une fête foraine, pis encore ! Une mascarade bien orchestrée et noyautée par cette guerre d'intérêts politiques. Le travail, ce droit devenu une aubaine, a chamboulé la Tunisie sous le régime despotique de Ben Ali. Aujourd'hui, le nombre des chômeurs monte crescendo sans qu'il y ait pour l'instant de résultats palpables, mis à part les promesses ... Peut-on célébrer réellement le travail dans un contexte pareil ? Melek LAKDAR