Chaque année, le mois de Ramadan apporte son lot de surprises sur nos petits écrans. Avant et après la rupture du jeûne, petits et grands se regroupent devant le poste de télévision pour regarder le programme présélectionné, choisi au hasard ou après un zapping assidu le premier jour. Entre caméras cachées, feuilletons et autres programmes culinaires, les programmations se suivent et... se ressemblent.
Avant la rupture du jeûne, c'est la cuisine qui est à l'honneur avec des plats variés venant des quatre coins du monde qui mettent en appétit et titillent les papilles. Seul bémol dans l'histoire, c'est que les chaînes qui tiennent la tête du palmarès en nombre de téléspectateurs, ont jugé bon de diffuser les émissions en même temps. Donc difficile pour la bonne ménagère de suivre toutes ces émissions... à moins que cela ne se fasse en simultané et là il faut s'appeler « Wonder woman ». Le deuxième bémol, c'est le coût de certains mets. S'adressant aux ménages tunisiens moyens, ces émissions proposent le plus souvent des recettes hors de prix. En temps de crise et la flambée des prix des fruits et légumes sans oublier ceux des viandes en tout genre, un gratin de fruits de mer ou une charlotte aux fruits est-il vraiment approprié pour les bourses tunisiennes ? De qui se moque-t-on ?
Et que serait Ramadan sans turbans, fastes palais, poussière et chevaux ? Vous l'aurez peut-être deviné, il s'agit bien sûr des bons feuilletons historiques. Dans ces séries, rien ne change ou presque : batailles, sang, trahison et... amour pour adoucir (ou pimenter) le tout. A croire que nous ne nous sentons bien que dans des époques révolues. Retracer la vie des figures marquantes de l'histoire trouve lui aussi une place de choix depuis quelque temps. Si l'élan nostalgique à fabriquer une biographie audiovisuelle est louable, ne serait-il pas le signe d'une carence dans la créativité ? Captiver un large public n'est-il possible désormais que par le biais de la reprise « fidèle » de la vie des prophètes, des compagnons du Prophète, des califes, des sultans, des princes, des poètes, des chanteurs, des acteurs... (cela donne le tournille tout compte fait et prochainement, le tour des animateurs télé et radio viendra... espérons que non)?
Après la rupture du jeûne, les choses se corsent. Nous zappons de feuilleton en feuilleton. Dans l'un, nous rions de bon cœur, dans l'autre, nous sommes scandalisés devant tant d'audaces et dans un autre , nous nous laissons attendrir. Les sujets sont d'actualité : la fuite de l'ex-président qui laisse derrière lui des ministres orphelins à qui la vie tourne le dos ; des bourgeois qui vivent de tromperies, de trafics en tout genre et de l'exploitation du pauvre par le riche etc. Bref, aucune originalité : des thèmes qui reviennent chaque Ramadan pour en devenir des classiques du genre et apparemment, nous ne sommes pas prêts à en finir avec l'ancien régime et les pratiques mafieuses puisqu'elles s'invitent encore chez nous à travers nos postes. Donc pour les feuilletons, nous avons le choix entre les pratiques mafieuses de l'ancien régime, rire des ministres de l'ancien régime, un étalage de richesse propre à l'ancien régime, des comportements et des lignes de conduite apparentés à l'ancien régime ... en somme, nous revivons l'ancien régime décliné à toutes les sauces dans les productions comique ou dramatique.
Mais la palme du programme le plus mièvre revient aux caméras cachées qui, à défaut de faire rire, inspirent soit de la compassion soit du mépris pour les personnes piégées. Que voyons-nous des personnes et surtout des personnalités piégées ? Des pleurs, de l'agressivité, des suggestions de gros mots (qu'un « bip » masque et heureusement), des comportements quasi racistes et xénophobes, des personnages de notoriété publique qui nous offrent un florilège de violence et qui ne savent pas instaurer un dialogue à défaut de maîtriser les langues étrangères. Alors face à ces programmes, faut-il sincèrement rire ou plutôt s'indigner ?
Que retiendrons-nous de la programmation ramadanesque de cette année ? Rien ou presque : manque d'originalité, carence créative, misère, injustice, trafics, luxure, mauvaise foi et la liste est encore longue. Nous reprenons les mêmes choses et nous recommençons avec les mêmes idées auxquelles nous rajoutons un cran de violence et de fourberie... et puis tout cela ne fait-il pas parti en fin de compte de l'esprit d'un mois saint ? Ne cherchons-nous pas la nostalgie pendant cette période ? Alors réitérons ce que nous savons et avons déjà, après tout Ramadan revient chaque année...