Samedi après-midi, 28 juillet 2012, neuf jours du mois de Ramadan s'étaient déjà écoulés. Presque une demi-heure avant la rupture du jeûne, les rues de la zone résidentielle de la Nouvelle Médina 3 (gouvernorat de Ben Arous) sont quasi désertées à l'exception de quelques automobiles qui circulaient. Tous les commerces sont fermés. Les parkings à proximité des résidences sont pleins à craquer. D'autres véhicules sont stationnés devant les immeubles, d'où se dagagaient les odeurs de la bouffe, friture, odeurs de soupe... Comme de coutume, et à cette heure de la journée, toutes les ménagères sont quasi-occupées dans la cuisine, le temps de préparer le menu pour une rupture du jeûne consistante. Mais ce n'est pas le cas pour toutes les femmes, même celles qui sont d'un certain âge. Victimes de pauvreté et de précarité, certaines parmi elles sont obligées de mendier même quelques petites minutes avant l'appel à la prière. La soixantaine bien sonnée, une dame voilée portant des vêtements usagés, le visage très fatigué, ne cesse de supplier les clients pour qu'on lui donne une somme d'argent. « Aidez-moi svp. Donnez moi de quoi acheter un yaourt, svp... ».
En fait, nul ne peut nier que le phénomène de mendicité s'est propagé après le 14 janvier 2011. Hommes, femmes tous âges confondus, jeunes garçons, jeunes filles et enfants sont omniprésents dans les rues, au niveau des feux de signalisation, devant les commerces ainsi que devant les salons de thé rien que pour demander de l'argent. Ce paysage très fréquent laisse à désirer, surtout que l'on observe de plus en plus la présence de la gent féminine. Un constat qui confirme que la femme reste la plus touchée par la pauvreté et qu'elle est victime de précarité économique.
Mendicité chez les femmes
Malheureusement, il est devenu très habituel de croiser une femme dans la rue en train de fouiller les bennes d'ordure avec un espoir de trouver des bouteilles en plastique qui se vendent quelques centaines de millimes le kilo. Ce paysage fréquent dans les zones résidentielles démontre à quel point beaucoup de femmes tunisiennes vivent dans la précarité. Un paysage le moins que l'on puisse dire désolant surtout quand il est question d'une femme âgée. En effet, nombreuses sont celles qui se trouvent obligées de sortir même lors du mois du jeûne pour collecter les bouteilles en plastique afin d'avoir une petite somme d'argent, question de boucler le mois et subvenir aux besoins les plus élémentaires. A la nouvelle Médina 3 à Ben Arous, il est très habituel de voir une femme portant sur son dos deux grands sachets en plastique noir, pleins de bouteilles. D'ailleurs, les heures de travail de ces vielles dames n'ont pas de limite. Elles « bossent » même avant la rupture du jeûne alors que d'autres femmes prennent du plaisir à préparer de quoi manger à toute la famille. Quelques petites minutes avant l'appel à la prière, une septuagénaire se penchait sur une poubelle tout en fouillant les déchets. A ses côtés, deux grands sachets en plastique, remplis de bouteilles d'eau minérale et de boisson gazeuse. La récolte journalière semble être fructueuse, car la vielle soulève difficilement les sachets.
Souffrance
Certes, il est désolant de voir la souffrance de cette femme ainsi que celle d'autres, mais cela confirme que la pauvreté touche la femme tunisienne et qu'elle n'est pas à l'abri de la précarité à cause de l'absence de législation qui lui garantisse ses droits les plus élémentaires, le droit à une vie décente. D'ailleurs, Le rapport Wresinski en 1987, définit la précarité comme étant « l'absence d'une ou plusieurs éléments de sécurité, notamment celle de l'emploi, permettant aux personnes et familles d'assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales, et de jouir de leurs droits fondamentaux », selon, l'étude réalisée par le population Council intitulée « Le travail de la femme dans le secteur agricole : entre précarité et empowrment, cas de trois régions, l'Egypte, le Maroc et la Tunisie ». La même étude confirme que ce phénomène touche les individus « issus de tous les milieux sociaux ou professionnels ». Toutefois, il existe une catégorie qui est plus touchée par ce problème plus qu'une autre, dont la femme. Et « si la précarité correspond à un état, la précarisation désigne le processus qui a aboutit à cette situation ». En effet, « la précarisation est un processus qui empêche l'accumulation qu'elle soit monétaire ou professionnelle. La précarisation sociale constitue un processus mettant les individus en situation de précarité et de maltraitance en les enfermant dans la pauvreté et la corvéabilité ». « Elle est une déstructuration des droits sociaux, une exposition à la violence et une privation de l'accès à un minimum de capacité et aux droits fondamentaux », selon la même source.
Ce constat est presque confirmé en Tunisie. Il attire l'attention de la société civile laquelle travaille sur la question depuis des années et œuvre à constitutionnaliser les droits économiques et sociaux des Tunisiens notamment, les femmes. Sauf que les résultats ne sont pas encore là à cause des politiques appliquées et surtout à cause de la négligence des autorités même celles qui sont au pouvoir actuellement. D'ailleurs, l'espace « Tanassof » relevant de l'Association des Femmes Tunisiennes pour la Recherche sur le Développement (AFTURD) a lancé un projet dans ce sens pour la période 2009-2011. Intitulé « précarité économique et soutien aux droits des femmes » le projet a démontré qu'un grand pourcentage des femmes tunisiennes sont victimes de précarité. Une étude réalisée dans ce sens dans les gouvernorats de l'Ariana, de Ben Arous et de la Manouba a démontré que la précarité touche 84 % des femmes enquêtées qu'elles soient salariées ou gestionnaires de leurs propres projets. Cela confirme la féminisation de la pauvreté.