Alors que les salafistes ont interrompu trois manifestations culturelles au mois d'août 2012, Pop in Djerba, le premier festival de pop rock en Tunisie, a ouvert ses portes le lundi 27 août dernier. Un projet ambitieux, un pari audacieux, orchestré par un enfant du pays, Kamel Salih, qui est convaincu que c'est le bon moment pour agir en Tunisie, en plein bouleversement socio-politique.
Avoir les bons ingrédients ne suffit pas toujours pour réussir la recette. Kamel Salih, 32 ans, le sait. Son festival pose ses valises près d'Houmt Souk, dans le grand sud tunisien. Sur la côte bordée de forteresses pittoresques, cet organisateur de concerts et de tournées, originaire de Tunis, brise les clichés d'une Tunisie all inclusive. « Avant la révolution, la culture, c'était du divertissement. Aujourd'hui, l'offre explose. Chacun apporte sa touche, mais c'est comme avec les partis politiques : il faut des rapprochements ». Seulement, le flou institutionnel tunisien n'aide pas à trouver des repères.
Arrimé sur une dune de sable qui sépare l'hôtel du terrain vague, le site du festival est à la lisière de deux mondes : les locaux et les touristes. « Le boulevard de l'environnement », voulu par Ben Ali, est l'unique route fréquentée par les taxis pour desservir la centaine d'hôtels côtiers. « C'est un sacré rempart », remarque Tony Reggazzoni, le scénographe. « On a fait un festival entre amis avec zéro soutien financier à l'exception d'une fondation norvégienne qui travaille sur le développement économique et social. Il n'existe pas vraiment de programme culturel en Tunisie, le gouvernement nous a seulement délivré les autorisations de visa pour les artistes », précise Kamel Salih. Aujourd'hui, les courriels d'encouragement se manifestent, « mais c'est trop tard », conclut-il.
«Les infrastructures culturelles s'essoufflent»
Au soir du premier jour, le mélange souhaité est pourtant là : les tentes bédouines éclairées à la bougie font face à un monstrueux empilement d'enceintes avec une scène géométrique. Directeurs d'hôtels, staff, artistes ont répondu présent. Silence radio du côté des municipalités : « Elles n'ont aucune initiative. A leur tête, des hommes qu'on connaît à peine. Ils ne sont pas élus ! On attend toujours la date des prochaines élections », peste Nasser, membre de l'association écologiste Assidje qui participe au festival.
Pop in Djerba veut impulser une nouvelle dynamique économique. Pour cela, un village associatif est censé représenter « l'économie créative » de l'île. Cent emplois directs ont été créés. Pour Kais Melliti, musicien de Djerba, c'est une revanche : « A Houmt Souk, le théâtre, la marina restent vides. Les infrastructures culturelles s'essoufflent et la révolution n'a rien changé. » Mais il reconnaît la démarche un peu « surréaliste ». « Le billet d'entrée - 13,50 euros soit 30 dinars environ - est trop élevé pour un jeune tunisien et les associations culturelles locales ne se sont pas impliquées dans le projet pour faire baisser les prix. »
L'enthousiasme malgré les obstacles
Le plus difficile a été de convaincre les médias locaux. A la conférence de presse, les questions ne se bousculent pas. La première : « Ne pensez-vous pas que ce festival peut poser problème ? ». Kamel Salih réplique : « A qui ? Les gens ont manifesté pour réclamer plus d'emplois et plus de libertés. Ils ne sont pas descendus dans la rue pour demander plus de prières et de sacré. Ce festival répond à leur demande. »
Sauf que pour sa première édition, il n'a pas choisi la facilité : le Néo-Zélandais Connan Mockasin, les Anglais de Egyptian Hip Hop ou le groupe français Success... Indépendants, ces groupes ne sont pourtant pas à l'abri de l'autocensure. Les écossais Fangs ont choisi à la dernière minute de modifier les paroles de deux chansons. « Nous ne voulons pas manquer de respect au public tunisien. Nous avons grandi dans la banlieue de Glasgow, absorbés par le sexe et la drogue. Forcément, nos chansons en parlent. C'est une autre culture, il faut y aller en douceur », confie Marko, le guitariste.
Malgré toutes ces difficultés, l'enthousiasme y est. En robe à fleurs, avec ses quatre fils, Moufida scande les paroles de la voix de la révolution, Emel Mathlouthi. « Cessons de croire au folklore tunisien. La Tunisie se modernise et mes fils connaissent cette musique. Les salafistes vous font peur ? Mais ils étaient là avant Ben Ali et eux aussi aiment cette musique. »
D'ailleurs, de l'autre côté du « boulevard de l'environnement », faisant face aux hôtels d'une blancheur éblouissante, ce sont eux qui tiennent les bijouteries, les cordonneries et beaucoup de pharmacies. (RFI)