Aujourd'hui, le climat des affaires en Tunisie est semé d'embûches. L'Union Tunisienne de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat (UTICA) n'a cessé de tirer la sonnette d'alarme déplorant la dégradation du climat des affaires et l'immensité à rencontrer des difficultés entravant le fonctionnement des entreprises tunisiennes. A ce train là, la transition vers la démocratie ne peut que déboucher irrévocablement sur une médiocratie et les hommes d'affaires ne peuvent que crier à leurs désarrois et appeler à établir une justice économique au même titre que la justice transitionnelle. Les chefs d'entreprises, victimes d'hier, victimes du système mafieux de Ben Ali ils le demeurent encore. Plus de 460 hommes d'affaires ou 80 (selon les derniers news) restent toujours interdits de voyage. Les banques de la place ne se pressent pas à se dépouiller des mauvaises manières et faire leurs propres ménages après des dépassements constatés par ci et par là. Le Chômage s'enhardit et atteint des normes inquiétantes même si le gouvernement provisoire annonce un léger repli du taux de chômage. Le marché parallèle prolifie et l'illégal concurrence dangereusement l'économie légale et loyale. Outre ces problèmes chroniques, le climat politique actuel prête au scepticisme et s'enlise dans une violence politique sans précédent dont les conséquences se répercutent méchamment sur l'économie nationale. A rappeler les derniers évènements survenus en Tunisie liés à la triste affaire de l'ambassade des Etats-Unis et de l'école américaine qui sont venus envenimer davantage le climat des affaires en Tunisie. Bref, il semble que tous les éléments du puzzle ne sont pas encore réunis pour une sortie du gouffre. Face au blocage politique face au dossier économique, nombreux sont les hommes d'affaires qui lancent des appels de détresse et arrivent à bout de souffle. Taïeb Souissi, homme d'affaires, l'une des victimes de l'ancien système nous fait part de ses craintes face à un environnement des affaires toujours malsain et malpropre. Il est à bout de patience, lessivé, il met en garde contre les risques de voir des hommes d'affaires s'immoler de la même façon que Bouazizi. Seraient-ce les signes avant-coureurs d'une autre Révolution, celle des hommes d'affaires...
Taïeb Souissi, homme d'affaires : « Assez de patience, aujourd'hui je dénonce »
« Je suis un homme d'affaires, PDG de la société baptisée « Souissi Home Center » bénéficiant de plus 30 ans d'expérience dans le domaine de la grande distribution et plus particulièrement dans le bricolage, le sanitaire, décoration.... Je fais partie des hommes d'affaires qui avaient résisté au jeu de la tentation implacablement instauré par le système de Ben Ali et ses complices. Outre les fautes de gestion que j'ai commises par le passé, mon seul tort était d'avoir travaillé dans la légalité, la transparence, la bonne foi. J'avais cru aux institutions de l'Etat, à la justice, aux lois...En somme aux valeurs de la République. Après la Révolution, je gardais l'espoir et je croyais que les pratiques d'hier allaient être dépassées et je croyais sincèrement à un avenir meilleur et à une réelle réhabilitation des entreprises endommagées et victimes de l'ancien système. Aujourd'hui et avec amertume, je pense que le danger s'accentue et les mêmes perdants d'hier sont toujours les perdants d'aujourd'hui.
En bref, mon dossier traîne depuis dix ans dans les casiers d'une banque publique de la place. Il s'agit de finaliser un contrat de franchise avec une marque internationale de distribution qui n'est autre que Mr.Brocolage, la chaîne française de magasins spécialisée dans la distribution de matériel de bricolage et de jardinage. Sous l'ère de Ben Ali, mon projet n'avait pas trouvé de bons entendeurs vu qu'il s'apprêtait à rivaliser directement Bricorama, ex-propriété de Imed Trabelsi. Après la Révolution et avec l'espoir du changement du climat des affaires et croyant en la justice transitionnelle, j'ai relancé la procédure convaincu d'une réponse favorable émanant de la part de mon institution de crédit. Au jour d'aujourd'hui, j'ai toujours du mal à parachever mon plan de financement. Ma banque ne m'a pas facilité la tâche, allant jusqu'à pousser mon partenaire français à se désengager de l'affaire après plusieurs séances de négociations. Une responsable de la Banque a même eu le cynisme de conseiller mon partenaire à chercher un autre partenaire ou groupe influent opérant en Tunisie ! Au lendemain de la Révolution, un autre projet avec Bricorama voyait le jour. Un projet mort-né par la faute de l'immobilisme du gouvernement et le climat de suspicion qui règne.
A présent, j'ai 10 milliards de garanties et après 32 ans d'expérience j'ai l'impression que j'ai tout perdu. Des centaines de milliers de dinars de frais et de pénalités se sont dilués en vapeur dans l'attente d'une réponse favorable ou défavorable de la part de mon banquier. Le malheur, c'est que le système bancaire trouve toujours du mal de se débarrasser des erreurs du passé. Pire encore, les choses continuent sur le même entrain et les décideurs d'hier sont les mêmes que ceux d'aujourd'hui, ils ont même été promus après la Révolution. Tellement on veut être propre et se refaire une nouvelle virginité quitte à ne rien entreprendre de sérieux. On ne s'engage plus.
Et malgré tout ce blocage, je n'ai pas baissé les bras. Je me suis adressé de nouveau à la responsable au sein de la banque, celle qui a la charge de mon dossier, et qui a même été promue après la Révolution. Après 10 ans d'attente et de patience, la responsable ne s'est pas empêché de me raillier en me lançant ces mots : « Comme tu peux aimer la bureaucratie ! ». Et c'est comme çà qu'on récompense les compétences. Les banques font ce que bon semble, elles font fi des circulaires de la BCT. Au Cabinet du ministère des Finances, une responsable m'a dit textuellement : « M.Souissi, sous l'ère de Ben Ali ton dossier n'aurait pas pris plus de 10 minutes par téléphone. Aujourd'hui les choses ont changé et personne ne veut courir le risque de signer quoi que ce soit. Et si le ministre parviendrait à résoudre ton problème c'est par simple complaisance. Ainsi, ce n'est plus question de compétence, de dossier consistant, de projet bien-fondé, d'enjeux économiques et sociaux, d'intérêt général, de sauvetage d'emplois, de projets de gagnants-gagnants, mais c'est une question de complaisance. Il est temps que ça change et qu'on en finisse une fois pour toutes avec ces pratiques!
Et où est la décision politique dans tout ce vacarme? Elle s'en moque. Où est l'équité ? Qui pensera investir dans ce pays ? On ne peut rattraper le temps qui est tem la seule énergie non renouvelable. En tant que citoyen je suis indigné. L'heure est grave, l'administration doit être à l'écoute des hommes d'affaires. Il faut réhabiliter les structures existantes pour ne pas bousiller les entreprises génératrices de richesses et d'emplois »
Tel est un appel pathétique d'un homme d'affaires désemparé, ballotté au gré des humeurs au bord de la détresse. Nombreux sont ceux qui sont victimes de l'ancien système, le système des dix D : Déception, le despotisme, le Découragement, la Démission, le Défaitisme, le Dérèglement, la Désorientation, le Désintéressement, le Désistement et la Déconnexion. Aujourd'hui nous devons tourner la page, épouser un nouvel air de liberté et de démocratie et donner aux détenteurs de capitaux, aux entreprises citoyennes la chance de se repositionner sur l'échiquier national. Ne faut-il pas au préalable mettre fin aux conflits politiques et se désintéresser de cette course effrénée au pouvoir pour se consacrer sérieusement aux intérêts des citoyens et par-dessus toute autre considération à l'intérêt supérieur du pays ?