On a vu bien des hommes politiques perdre leur sang froid pour proférer des insultes ou même des menaces, des élus à l'Assemblée Nationale en venir aux mains et des responsables au gouvernement adresser des critiques acerbes et des quolibets diffamatoires à leurs collègues. Ce phénomène remarquable à l'étranger, notamment dans les pays dits démocratiques, tels que la France l'Italie, et même la Grande Bretagne, est-il un signe prometteur ou au contraire dénote-t-il du malaise qu'il y a dans le pays sur le plan politique, et par là même sur le plan socio-économique ?
C'est en effet le malaise qui engendre le stress chez les responsables politiques et met leurs nerfs à bout.
Sarkozy, alors président de la République française en fonction, en visite au salon de l'agriculture en 2008, lança : « casse-toi pauvre con ! » à un citoyen qui avait refusé de lui serrer la main en lui disant « ne me touche pas tu me salis ! »
Chirac son prédécesseur a été plus loin dans les propos diffamatoires et à connotation xénophobe, en déclarant après une visite à la Goutte d'or :
«Comment voulez-vous que le travailleur français qui habite à la Goutte d'Or et qui voit sur le palier à côté de son HLM, entassée, une famille avec un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses, et qui gagne 50 000 francs de prestations sociales, sans naturellement travailler... si vous ajoutez à cela le bruit et l'odeur, hé bien le travailleur français sur le palier devient fou. Et ce n'est pas être raciste que de dire cela... ».Et dire qu'il a brigué deux mandats !
Les exemples de responsables politiques qui perdent leur self-contrôle se succèdent mais ne ressemblent pas, certains se mettant dans des états de nature à affecter leur image de marque et à porter atteinte à l'obligation de réserve qu'ils sont tenus d'observer. On a vu Boris Eltsine, l'ex-président russe faire preuve de légèreté blâmable à l'égard de l'une de ses secrétaires, en présence de l'ex président américain Bill Clinton, qui était mort de rire.
Le comportement polisson de ce président américain lui coûta la procédure de l'Impeachment, ou mise en accusation, à la suite de laquelle il présenta des excuses publiques devant le Sénat américain.
Les excuses, de manière directe ou indirecte, il y en a eu également, de la part de certains responsables politiques français, au moins en déclarant qu'ils avaient agi de manière légère et irréfléchie, comme l'a fait Sarkozy suite à son fameux « casse-toi ».
Mise en scène et précautions pour éviter le pire
Dans les régimes dictatoriaux, et contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, ces attitudes et ces écarts de langage, ne sont pas monnaie courante.
C'est normal, car les citoyens n'osent pas broncher devant le chef. Celui-ci représente l'autorité suprême, qu'on n'imagine jamais contrarier ou affronter.
Cette attitude serait considérée alors, comme une insoumission, une rébellion.
Cependant en Tunisie, Bourguiba avait en outre un charisme tel qu'il était hors de question de l'interrompre, ou même de l'interpeller. Non pas qu'il était une terreur, loin de là. Dans ses nombreux discours, il mêlait le sérieux à la facétie.
Il savait avec ses dons théâtraux, intéresser ses interlocuteurs, et il se mettait à leur niveau afin de mieux les sensibiliser. Les écarts de langage, il n'en a jamais eu, sauf en traitant dans l'un de ses discours, un de ses ministres de « masse de viande » pour dire qu'il était plutôt naïf, ou lorsqu'il déclara publiquement qu'un autre ministre lui devait de l'argent. Ce qui incita celui-ci à en faire la mise au point séance tenante en rétorquant qu'il avait réglé sa dette rubis sur l'ongle. Bourguiba ne s'en offusqua pas pour autant.
Bien plus, Bourguiba est allé même jusqu'à raconter les mises en scène préparées lors de ses visites pour lui faire croire à des balivernes. Cela se passait
durant de la période du collectivisme. On creusa un énorme trou qu'on avait rempli d'eau, pour lui faire croire à un sondage et que la terre où se trouvait le puits était fertile. Et dire que Bourguiba faisait semblant d'avoir gobé cette supercherie !
Avec Ben Ali, les discours étaient monotones et nul ne pouvait l'interrompre au moment où il débitait son speech. Au cours de ses visites « surprises » qui étaient programmées à l'avance, il faisait semblant de s'y connaître quel qu'ait été le domaine, et il se contentait de poser des questions auxquelles un agent tremblant de peur, y répondait avec beaucoup d'égards et de précaution.
« C'est quoi cette impolitesse ?... il n'y a rien à dire
Après la Révolution le président de la République Moncef Marzouki, s'est toujours distingué dans ses discours par ses propos favorables à la préservation des droits de l'Homme et sa défense de la liberté d'expression.
Comment a-t-il pu, au cours de sa visite à Doha, s'adresser d'une manière agressive à l'un des journalistes tunisiens ?
Celui-ci a commis certes l'indélicatesse de parler au téléphone, au moment où le président était en train de parler.
Ce qui a fait sortir ce dernier de ses gonds et lui a fait perdre son self-contrôle : « Bonté divine, c'est quoi cette impolitesse ? » lui lança-t-il.
Le journaliste essayant de justifier son attitude n'eut même pas le temps d'entamer le premier mot qu'il a été interrompu par le président. Celui-ci enchaîna sur un ton irrité : « il n'y a rien à dire ! ».
Cette attitude, constitue-t-elle une atteinte à la liberté d'expression, le jeune homme ayant été dans l'impossibilité de s'expliquer ?
Dans sa colère le président s'est adressé au journaliste comme le ferait par exemple un professeur à l'égard de l'un de ses élèves qui essaye de se justifier pour échapper à une punition. C'est l'attitude d'un supérieur à l'égard d'un subalterne, d'un chef de chantier à l'égard d'un simple ouvrier.
Sauf qu'en l'occurrence, il s'agit d'un journaliste qui prenait contact avec ses supérieurs à propos, justement de l'intervention du président. Il faisait donc son travail. Il a peut-être manqué de tact, mais pas de respect. Il a été gauche sur le plan professionnel, mais, il n'a pas commis de faute déontologique.
Cela ne veut pas dire pour autant que le président de la République est fondamentalement contre la liberté d'expression ; bien au contraire.
Il a toujours milité pour les droits de l'Homme.
C'est la raison pour laquelle, en perdant son self contrôle, il a étonné voire inquiété plus d'un.
Et puis cette tendance à l'agressivité et à la violence va crescendo, pour atteindre toutes les couches de la population et toutes les tendances.
L'effervescence continue au sein de la constituante et les divergences entre les représentants des partis ne font qu'ajouter à l'inquiétude du citoyen. Celui-ci se demande si cette tension sert réellement l'intérêt général.
En fait cette situation ne peut s'expliquer que par le malaise général qui est de plus en plus notoire depuis la Révolution, avec un chômage qui ne cesse d'augmenter, et un marasme économique des plus inquiétants. On parle de Justice transitionnelle, d'indépendance de la magistrature de liberté d'expression.....et d'une démocratie transitionnelle que le citoyen attend avec impatience, mais ne voit rien venir encore.
Le proverbe tunisien dit « Celui qui attend est mieux loti que celui qui espère »