Enfin un projet de loi sur la Justice transitionnelle a été déposé devant La Constituante. Mustapha Ben Jâafar a déclaré enthousiaste : « La Justice transitionnelle ne signifie nullement l'installation des échafauds, mais vient consacrer la réconciliation nationale après la reddition des comptes et l'établissement des vérités ». Le président de l'Assemblée constituante part de cette bonne intention qui consiste à pardonner, mais non sans avoir établi la vérité.
Est-ce l'avis de la majorité des citoyens et surtout de ceux qui ont souffert des exactions et des multiples injustices, durant l'ancien régime ?
En fait les victimes et leurs familles ne cherchent qu'à obtenir réparation des dommages subis par les exactions de l'ancien régime.
il ne s'agit pas justement d'installer des échafauds mais surtout de parvenir à une juste réparation à laquelle toutes les victimes ont le droit de prétendre.
C'est de l'essence même des droits de l'Homme, et c'est une action collective qu'il faut mener à cet effet.
Cependant il importe au préalable de parvenir à la connaissance de la vérité, sur tous les abus qui ont eu lieu durant l'ancien régime et qui ont laissé de graves séquelles.
C'est la raison pour laquelle le projet de loi prévoit la création d'une Instance Indépendante de la Vérité dont le rôle est de jeter la lumière sur certaines réalités, en recevant des témoignages et en se concertant avec les différentes composantes de la société civile.
Vérité et Vérités
Le président de la constituante a parlé de vérités, insinuant par là même qu'il n'y a pas, une seule vérité absolue, mais plusieurs vérités selon les contextes et les personnes concernées. C'est en tout les cas dans un sens positif qu'il a employé ce terme au pluriel, la langue étant plus nuancée : « Hakayek » peut signifier aussi comment chacun perçoit la vérité à sa façon et selon ses convictions.
Prenez par exemple les tensions et les émeutes qui ont eu lieu à l'aube de l'indépendance entre Yousséfistes et leurs adversaires au sein du parti destourien : D'aucuns estiment que ces derniers n'avaient fait que se défendre, les Yousséfistes étant déterminés à perpétrer la violence afin de parvenir à semr le trouble dans le pays. Idem en ce qui concerne les évènements de Bab Souika dont les auteurs agissaient estimaient-ils, par réactions aux multiples agressions dont étaient l'objet leurs amis, de la part des autorités et du parti au pouvoir.
C'est sur toutes ces questions que s'évertuera à travailler, ladite instance et il faut lui souhaiter beaucoup de courage, car il lui en faut vraiment.
Entre temps de nouveaux problèmes s'amoncellent, suite à certains troubles qui ont eu lieu depuis la Révolution. Le dernier en date est celui de la mort suspecte de Lotfi Nagdh, à propos duquel les médecins légistes se sont contredits sur les causes. Crise cardiaque, violence.....
Il est difficile de parvenir à la vérité sans mettre de côté les tensions et les antagonismes, et ce dans l'intérêt général.
Reddition des comptes, à quelle fin ?
C'est l'établissement de la vérité qui permettra la reddition des comptes. Le but escompté n'est nullement d'installer des échafuds pour passer les coupables au poteau.
« Et la guillotine avait le droit de dire au Donjon : je suis ta fille » s'exclamait Victor Hugo dans son ouvrage, intitulé 93, qui parle de la Révolution de 1793. Ce sentiment de violence chez lui a pour but d'expliquer cet écart entre les moyens et les fins dans toute révolution, c'est-à-dire entre la violence, le trouble, et l'espoir de parvenir à la paix et à la sécurité. Le règne de l'échafaud contrevient la réalisation de la paix et de la prospérité.
Est-ce à dire qu'il faut abandonner les poursuites contre les coupables ?
Pour certains il faut passer nécessairement par une phase de reddition des comptes pour déterminer les coupables. C'est aussi le rôle de cette instance de la vérité, créée en vertu de cette même loi, de soumettre les dossiers à des chambres spéciales au sein des tribunaux qui auront pour tâche de juger les dossiers de violation des droits de l'Homme, ainsi que les affaires de corruption et de malversations.
Chambres spécialisées et non des tribunaux d'exception
Evidemment, les chambres spécialisées siègeront au sein des tribunaux de droit commun. Il ne s'agit nullement de créer des tribunaux d'exception, ni des tribunaux populaires, qui seront dénués de toute objectivité et impartialité.
Tout doit se passer en vertu de la loi et non par esprit de revanche ou par dépit.
Au contraire et comme l'a affirmé le président de la Constituante, une fois les vérités établies et les tensions apaisées, il serait plus sage de procéder à une réconciliation nationale