Dans le cadre des Journées Cinématographiques de Carthage, le cinéma l'Alhambra à la Marsa a proposé aux cinéphiles « j'enrage de son absence » de Sandrine Bonnaire. Après un film documentaire : « Elle s'appelle Sabine » (2007) dans lequel elle peint le portrait de sa sœur autiste, presque cinq ans plus tard, Sandrine Bonnaire se tourne vers la fiction. Avec « J'en rage de son absence », la réalisatrice transcende l'âme pour mettre à nu les sentiments enfouis et parfois contradictoires qui animent tout être humain. Jacques (William Hurt) est de retour en France pour enterrer son père et régler les détails de la succession. Lors de son séjour, il revoit Mado (Alexandra Lamy), son ex- compagne, mariée à Stéphane (Augustin Legrand) et mère d'un petit garçon de sept ans Paul (Jalil Mehenni). La solitude de Jacques sera peu à peu comblée par la présence de Mado et surtout par celle de Paul. Très vite entre le garçonnet et l'ex compagnon de sa maman, se tisse un lien père-fils intense. Jacques transpose sur Paul toute l'affection qu'il portait à son propre fils, Matthieu, qu'il avait eu avec Mado, décédé depuis huit ans. Le retour de Jacques bouleverse le quotidien de la famille de Mado. Dans l'HLM, la vie tranquille et paisible se transforme petit à petit en enfer où les secrets sont percés au grand jour par une froide nuit d'hiver. Sandrine Bonnaire nous entraine dans un huis-clos sentimental dont le cadre spatial est souvent l'intérieur d'une maison, d'un bureau, d'une cave ou d'un appartement. Même l'extérieur est toujours délimité par une clôture qu'il s'agisse du jardin de l'HLM ou de la cour d'une vielle demeure ou d'une école. Lieux favorisant l'exacerbation des sentiments. Le scénario très bien échafaudé laisse une grande place au non dit. A la parole est substitué un excellent jeu d'acteur. William Hurt est émouvant dans son rôle d'architecte solitaire qui fuit la maison paternelle : sanctuaire de son enfance pour s'enterrer vivant dans la cave de l'immeuble où vivent Mado et les siens afin d'être proches du garçon. La tristesse inhérente au personnage ne quitte jamais son regard ; ses gestes lents et sa velléité face au passé qui le rattrape finissent par le faire basculer dans un état léthargique. Alexandra Lamy est magistrale dans le rôle d'une mère brisée revivant la disparition d'un premier fils et voyant le deuxième lui échapper. Son existence même semble lui filer entre les doigts. De la quiétude, elle cède à l'angoisse et l'incertitude qui s'installent dans sa vie. Augustin Legrand est attachant en mari et père dévoué, capable de tout pour rétablir l'ordre dans son ménage. Enfin, Jalil Mehenni nous offre un rôle de composition époustouflant. De l'enfant enjoué et réservé, obéissant et poli, il se métamorphose en « enfant/adulte » capable de toutes les audaces et usant de tous les subterfuges afin de réaliser son propre équilibre. A travers sa galerie de personnages, Sandrine Bonnaire nous dépeint avec réalisme les sentiments. Le naturel qui se dégage du jeu des acteurs et l'économie de mots rendent les caractères plus authentiques et laissent le personnage imprégner le spectateur. Enfin, avec son style direct et sa minutie dans le choix des détails, Bonnaire s'inscrit dans la longue lignée des réalisateurs naturalistes. Elle relève le défi de la fiction après celui du documentaire avec brio. « J'en rage de son absence », en dépit de son pathos parfois dérangeant, est un long métrage pénétrant, avec des personnages à fleur de peau et une histoire des plus émouvantes, à voir sans regret...