Depuis La fin du monde d'Abel Gance (1931) et en regardant les films tous genres et cinématographies confondues, on peut estimer à plus de 500 le nombre de longs et courts métrages mettant en scène l'apocalypse. La poétique de la destruction traverse les époques et les genres, on peut la retrouver bien sûr dans des films de science-fiction, mais aussi dans des péplums, des westerns ou des films intimistes. Comme dans Melancholia (2011) de Lars Von Trier ou 4h44, le dernier film d'Abel Ferrara sur les écrans français actuellement. Dans le domaine, le cinéma américain commercial multiplie les sorties ces dernières années. Et on peut imaginer que 2012 (film sorti en 2009) de Roland Emmerich a amplifié la peur des adeptes de la prophétie maya. A grands coups d'effets spéciaux, et pour un budget de 150 millions de dollars, le réalisateur montrait différentes parties du monde englouties sous les flots ou la terre s'ouvrir, visions de cauchemar auxquelles seuls quelques uns pourraient s'en échapper. Et d'ailleurs, le seul continent à échapper à la destruction finale dans ce film, c'est l'Afrique, terre promise des rares survivants. Pré ou post-apocalypse Le Forum des images à Paris a sélectionné quelque 80 courts ou longs métrages pour son cycle spécial apocalypse. Mais qu'ils soient d'auteur ou commerciaux, depuis les débuts du cinéma, ces films de fin du monde sont bien liés à un contexte historique. Isabelle Vannini, responsable de la programmation du Forum des images explique que ces films apocalyptiques reflètent l'angoisse de leur temps : « Les années 30, on sent beaucoup le poids de la crise de 1929, et la peur d'un deuxième conflit mondial qui finira par arriver. Après les deux bombes atomiques et la Guerre froide entre les deux superpuissances qui font la course à l'armement (Etats-Unis et Union Soviétique), le cinéma exprime l'angoisse d'une troisième guerre mondiale qui serait nucléaire. Et ensuite, dans les films d'aujourd'hui on lit clairement la peur du bioterrorisme, des cataclysmes tsunami, des pandémies et toutes les dernières catastrophes qu'on a connues ces dernières années dans les films qui sortent ». Quelques soient les époques ou les genres, ces films se divisant en deux catégories : les films pré-apocalyptiques, fonctionnant sur le compte-à-rebours avant le cataclysme inéluctable, qui peut être, au choix, nucléaire (Docteur Folamour de Stanley Kubrick), écologique (Phénomènes, de Night Shyamalan), biologique (Contagion, de Steven Soderbergh), terroriste, ou encore d'origine extra-terrestre (La guerre des mondes, Steven Spielberg). Et puis il y a les films post-apocalyptiques qui décrivent la survie dans des ruines d'individus dans un monde le plus souvent hostile, comme dans La planète des singes ou encore plus récemment La Route de John Hillcoat. Dévoilement et destruction Les films reflètent les angoisses de leur temps. Pourtant, étymologiquement, apocalypse, en grec, ne veut pas forcément dire destruction, mais dévoilement. Dans la Bible, et particulièrement le Nouveau Testament, la destruction signifie l'attente d'un monde meilleur, et non l'anéantissement final. Mais au cinéma, on aime beaucoup la destruction, les effets spéciaux. Le producteur américain Cecil B. DeMille disait : « pour aider les gens à surmonter leur crainte de voir leur maison s'écrouler, il fallait les faire assister à des écroulements reconstitués en studio ». Gérard Mordillat ne dit pas autre chose : « L'Apocalypse est un genre classique de la prophétie. Ça appartient aussi bien à la tradition juive, qu'à la tradition chrétienne ou musulmane. Tout le monde attend toujours le retour soit du Messie, soit du Christ ressuscité soit du Mahdi », détaille le réalisateur, co-auteur avec Jérôme Prieur, d'une série documentaire sur l'Apocalypse de Jean dans le Nouveau Testament. « Alors au cinéma, de cela, on s'en fout totalement, et on pense que justement les destructions, les cataclysmes, les guerres, les incendies etc..., sont de très bons produits pour faire peur. C'est une vieille chose de la représentation : faire peur, avec des effets extrêmement spectaculaires, et faire peur sans aucun danger. Le cinéma est un art fondamentalement rassurant. Vous pouvez voir les pires choses au cinéma, d'une part vous êtes assis et d'autre part tout s'explique ». Prolifération Pourtant, ces dix dernières années (et depuis les attentats du 11 septembre 2001), on remarque une prolifération de films mettant en scène la fin des temps. Il n'y a pas que l'aspect cathartique ou de défoulement dans ce déferlement de films catastrophes. Ni même uniquement le reflet de l'époque. Mais peut-être un jeu de miroir. Comme si, aux temps d'internet, des écrans ou de la 3D, le cinéma mettait en scène sa propre disparition. C'est en tout cas la thèse du philosophe Peter Szendy, auteur du livre L'Apocalypse cinéma (aux éditions Capricci) : « Ce qui me fascine dans un film comme 2012, que je trouve par ailleurs très mauvais, c'est le moment où c'est l'image qui brûle. C'est ce qu'on retrouve aussi dans Melancholia, c'est un tableau de Brueghel qui brûle, l'image qui se consume. Ça fait peur parce que, potentiellement, c'est presque notre regard qui se déchire, ce qu'on voit à l'écran, ces failles qui s'ouvrent, c'est comme si l'œil se déchirait et ça c'est terrifiant ! ». (MFI)