Le regard est vif, sous les mèches blondes. La voix, plus grave et envoûtante que jamais. Jeanne Moreau, soixante-quatre ans de carrière, cent quarante-huit films et un Oscar d'honneur à son actif. La comédienne qui a tourné pour Truffaut, Losey, Malle ou Welles a, comme les plus grandes stars internationales, l'élégance de la simplicité. Si elle concède qu'à ses débuts elle s'est appuyée sur ce qu'elle était pour nourrir ses personnages, elle ne se trouve rien de commun avec l'Estonienne, solitaire et éperdue d'amour, qu'elle interprète dans le premier film d'Ilmar Raag. Encourager la relève chez les auteurs, en revanche, cadre bien avec ses préoccupations. A l'initiative de la création, en 2005, des Ateliers d'Angers qui accueillent de jeunes réalisateurs pour les aider à monter leurs films, Jeanne Moreau y occupe les fonctions de directrice artistique. Scaphandrier Curieuse et exigeante, elle rappelle qu'elle a donné sa chance, en son temps, à des cinéastes en herbe devenus célèbres : "Truffaut, je lui ai dit oui, alors qu'il n'avait presque jamais tourné. Quand j'ai accepté Ascenseur pour l'échafaud, de Louis Malle, mon agent de l'époque m'a quittée. Il m'a dit : "Vous voulez tourner avec un type qui était scaphandrier pour Cousteau ?" J'ai accepté aussi de tourner pour Orson Welles [LE PROCÈS], alors que tout le monde le disait cuit. C'est aller à la découverte." Et, dans cette démarche, ce n'est pas tant les rôles que la nature du metteur en scène qui l'intéresse. A 84 ans, l'interprète frondeuse de Jules et Jim va achever en janvier 2013 le tournage du film de Sandrine Veysset intitulé Jeanne dans tous ses états : "Je change de partenaire dans une série de films qui vont ne faire qu'un. J'ai donné la réplique à Isabelle Huppert, Gérard Depardieu, Michael Lonsdale et Gaspard Proust." Son chemin va également croiser celui du singulier Joseph Morder. En mars 2013, elle participera au tournage de son prochain film, La Duchesse de Varsovie, l'histoire d'une survivante des camps de concentration, qui n'a jamais évoqué son traumatisme. Elle le confie à son petit-fils qui va lui avouer, en retour, son homosexualité cachée. "C'est une oeuvre très gonflée, car il n'y a que deux personnages et des décors peints", commente Jeanne Moreau, ouverte aux propositions les plus expérimentales. Des projets Ses mots s'accrochent à des désirs de comédie ou de mise en scène inassouvis : tourner avec Yolande Moreau, "une actrice émouvante, drôle et profonde", monter sur les planches avec André Wilms, dans une adaptation du livre Genet à Barcelone. Elle va rencontrer, à ce sujet, son auteur, Juan Goytisolo, en février 2013. " Je suis très touchée parJean Genet que j'ai bien connu. Dès que vous l'aimiez, il rompait avec vous. Il détestait l'amour. Il était méchant !", se remémore-t-elle, en riant. Réalisatrice de deux longs-métrages, Lumière (1976) et Une adolescente (1979), elle voudrait montrer son portrait de Lilian Gish mais réfléchit à la meilleure manière de le faire. Inscrit dans une série consacrée aux icônes américaines, emblématiques de l'évolution du cinéma à Hollywood, le film est resté jusqu'à présent inédit. Elle avait convaincu Greta Garbo et Ava Gardner de participer également à sa belle entreprise. Mais, son producteur décédé et sa société dissoute, le projet n'a pas pu aboutir. "Peut-être que je pourrais faire des portraits de comédiennes françaises ? Si Dieu me prête vie, je le ferai", s'anime-t-elle, ajoutant un projet de plus à ses nombreux autres. Perpétuellement dans le désir, qu'on ne compte pas sur cette féministe "n'ayant jamais appartenu à aucun groupe" pour se satisfaire d'un regard rétrospectif. Consciente d'incarner une mémoire de cinéma, elle conclut : "Je suis née avec un don pour la comédie, j'en suis tributaire et non pas prisonnière. Je dois respecter ceux qui m'ont aidée à le développer. Le jour où je n'aurai plus cette énergie, je m'éteindrai."