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La force du Verbe
Photogaphie «Hors-sujet» de Hamideddine Bouali (du 2 au 15 Avril) à El Teatro
Publié dans Le Temps le 07 - 04 - 2013

« L'essence des choses est toujours, d'une manière ou d'une autre, liée au temps... Le photographe, soumis, comme tous les individus, à ces différentes configurations du sablier, possède, en plus de son statut, le privilège d'en avoir d'autres : le temps de pose, le temps de déclencher, le temps d'imprimer, le temps de publier... »
Hamideddine Bouali
Le photographe jouit aussi d'un avantage inouï : celui de faire de ces quelques secondes que dure le clic une éternité qui échappe à la marche inéluctable du temps. S'arracher à l'espace-temps, annihiler la course précipitée de la montre et figer le temps, n'est-ce pas la plus belle revanche ? Pour réaliser cette superbe affiche de bleu et d'or vêtue, Hamideddine Bouali n'a disposé que de six secondes pour que le photographe photographié allume le visage de la femme aimée, au moment où la Tour- Eiffel se couvre de lumière. C'est dire la célérité du regard qui scrute, le geste qui suit et le miracle qui se produit. Ce miracle, il l'appelle humblement « chance », oubliant les longues minutes d'attente, parfois déçues.
Cette exposition est déroutante à plus d'un titre, car le photographe n'a pas choisi la facilité. Il invite à la réflexion, à la méditation, à l'interrogation. Les photos sont groupées par lieu, selon un ordre chronologique. Elles sont silencieuses, elles ne sont pas légendées. Certaines sont encadrées pour donner de la profondeur, du relief et pousser le visiteur à adopter une posture différente. Mais chaque groupe de photos est précédé d'un texte assez long. Un beau récit, palpitant d'émotions, riche d'informations, de pensées. Il faut prendre le temps de lire ce texte, car, c'est une plongée dans l'intime du photographe et dans notre Histoire récente de Janvier 2011 à Janvier 2013. Il s'agit de deux cheminements parallèles, celui des soubresauts et des turbulences qu'a connus notre pays et la pérégrination du photographe, invité à exposer ses œuvres, lors de manifestations internationales prestigieuses qui l'ont honoré à plusieurs reprises.
Chaque panneau désigne un laps de temps, vécu à deux niveaux : la Tunisie et l'ailleurs. La Tunisie où le temps caracole, les images se multiplient, s'additionnent, se bousculent à folle allure, tellement l'année 2011 fut riche en événements. L'ailleurs où le temps coule avec la lenteur des jours sereins. Le texte raconte l'errance nationale avec la naissance de l'espoir, la fébrilité, l'enthousiasme, la ferveur, la libération de la parole, le rêve qui donne des ailes et le désenchantement, les doutes, les peurs, les interrogations, l'amertume. Les mots disent l'accélération de la vie, le tournis de la vie du photographe qui choisit de témoigner de celle d'un peuple qui a abandonné torpeur et apathie pour prendre son destin en main. Lui qui prenait son temps pour déambuler, choisir le lieu, les personnages, le voilà, soudain, photojournaliste, essoufflé par une course contre la montre incessante et harassante pour happer l'événement, la photo, la »bonne », la plus parlante, celle qui traduit l'instant. Il en est une qui raconte ce moment de colère, de ferveur et de grâce : « Victoire de Tunisie », le visage de cette femme, transfiguré par la volonté et la détermination d'arracher une liberté spoliée par la tyrannie d'un dictateur. Devenue symbole de la lutte d'un peuple, elle appartient, désormais, à l'héritage humain.
Le texte raconte cette quête épuisante de l'image, la vie affolée qui défile à perdre haleine. Sillonner le pays, de Ben Gardhane à Bizerte, au gré de l'événement. La vie qui ne s'appartient plus, qui se dérobe, le vertige au point que le photographe s'oublie, durant des nuits, dans un café, pour fuir le spectacle insoutenable des réfugiés parqués dans le camp de « Choucha », affamés, perdus, hagards, victimes d'une histoire qui les a condamnés à l'errance : « Des centaines d'individus, en marche forcée, en file indienne, valise sur la tête, jouaient un bal hallucinant... Des prises de vue en ombres chinoises étaient de mise. » Le sentiment de culpabilité, de honte d'être libre, alors qu'ils sont prisonniers d'un système qui a fait d'eux des parias, parce que démunis et misérables : « Je me suis fait violence... Ce fut un défi de mettre en images des situations, des visages, des regards, alors qu'ils étaient dans une situation précaire. » Se retenir pour ne pas flancher devant l'intolérable, comme ce face-à-face avec la mort, dans le brouillard des tirs de lacrymogène, quand il découvre, avec horreur le policier, à quelques mètres, en train de le viser. Fuir l'horreur et l'odeur irrespirable avec la force de survie qui donne l'élan salvateur. Découvrir, quelques minutes plus tard, le cliché réussi, frissonnant de terreur. Ce sera la preuve, reconnue internationalement, de l'intention délibérée de blesser.
Le texte raconte les photos absentes, décrit avec minutie tous les détails à tel point qu'elles deviennent d'une présence obsédante. Les mots restituent la force de l'image, sa beauté et son émotion. Cette absence n'en est pas une car l'intensité de l'écrit est là pour évoquer le passé proche, révolu, mais qui nous hante. Le photographe n'en finit pas de raconter cette année 2011 qui a vu tant de manifestations, de marches, de sit-in, de protestations, d'indignations, de contestations. Lui, sur les routes, appareil photos en bandoulière, slalomant entre les quartiers pour regarder, observer, surprendre l'image à cueillir : « Ceux qui ne regardent pas sont aveugles » dit-il avec un sourire.Les mots disent notre vie bouleversée, la perte des repères, les convulsions politiques et sociales, l'enthousiasme et l'euphorie des élections et la désillusion à l'annonce des résultats.
2012 a vu le pays sombrer dans la dépression et devenir méconnaissable. Las de suivre le rythme effréné de l'actualité, Hamideddine Bouali décide de revenir à une vie plus calme, sauf pour des événements d'exception : Les funérailles du martyr Chokri Belaid, « Le Forum Social Mondial ».
« Chargé de ces émotions, mélange changeant de dosages d'appréhension, d'optimisme, de doutes, de peur et de soif de liberté... », il s'en va pour Paris, invité pour assister à l'exposition « Enfin Libres ». Durant de longs mois, son quotidien n'était fait que de photographies : se déplacer, viser, visualiser les images, les sélectionner, les légender, les publier sur le blog, les envoyer à l'agence, lire les réactions. A son arrivée à l'aéroport, il prendra en photo la file des voyageurs en ombre chinoise qu'il titra « L'inconnu au chapeau ». Toutes les photos exposées sont en rupture thématique avec le texte, mais, un fil d'Ariane les relie, un clin d'œil, à peine perceptible, unit le texte torturé qui raconte les souffrances d'un pays qui se débat contre les chaines d'une nouvelle répression et les haltes où le photographe retrouve un azur plus serein. La vie, la magnificence des paysages : jardins d'éden où l'eau coule à flots, où « l'amour donne des ailes », où les « frères d'eau » volent de bonheur. La « beauté » de Venise, « contrée entourée d'horizons », se dévoile à travers « embarcadère », reflets dansants sur la lagune et lumière incomparable. La « mythique Casablanca » révèle son éclat, la splendeur de ses rivages ocrés par un soleil couchant. Là, la vie déploie ce bonheur simple de se promener, de se tenir par la main, de regarder l'horizon, de célébrer un carnaval dans une joie débordante. Hamideddine Bouali rapporte ces moments où la vie impose son insouciance.
Mais, à chaque fois, le retour au pays s'avère amer, tant la vie y est perturbée et agitée : les repères historiques sont remis en cause « Le livre d'Histoire est déchiré, écorné, annoté... », la Tunisie se cherche : « Tunisie idéale » et « Sms-moi », deux photos qu'il affectionne particulièrement et qui racontent l'espoir désiré, mais, « une seule photo ne fait pas tout un album... »commente-t-il. Le temps des désillusions s'installe vite et le pays devient « un atoll en instance de naufrage ».
Hamideddine Bouali s'interroge sur ce pays en devenir, mais le sent en perdition, balloté au gré d'une Histoire qu'il n'a pas choisie. Ce crépuscule dure et nous désoriente au point de ne plus nous retrouver. « Hors-sujet », thème de l'exposition, désigne à la fois, cette rupture entre le Texte qui relate le parcours chaotique du pays et les photos qui montrent la vie ailleurs, mais également, cette Tunisie devenue méconnaissable, étrangère à elle-même, à son histoire, à son identité : « les politiques, les religieux se trompent de discours. Il y a un déphasage entre le discours politique et ce que nous vivons. » Et pourtant, le photographe a choisi de célébrer la vie, ce « cadeau du ciel », vers lequel il nous emmène, à la fin de ce parcours. Le dernier texte est, le seul, cadré. Le regard s'y arrête, longuement : « Nous sommes en train de produire plus d'images que nous ne pouvons en consommer. » L'intrusion de l'image dans nos vies a transformé notre rapport à la vie. Cette dépendance vis-à-vis de l'image, cette boulimie de l'image nous a rendus aveugles, esclaves d'un paraitre illusoire. L'image fuit comme sable au creux de la paume. Notre vie aussi. « Il n'y a pas de meilleure résistance que la force du verbe. » Soudain, le texte remplit tout l'espace de ce cri. Hamideddine Bouali, photographe par amour, armé d'un appareil modeste, jetant sur les gens et la vie un regard d'une extrême justesse, d'une grande sagesse, nous renvoie à cette vérité : Le verbe est résistance.


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