L'Assemblée nationale constituante s'apprête à examiner le projet de loi relatif à la justice transitionnelle qui lui a été présenté par le gouvernement. Lors d'un colloque tenu, lundi 6 mai , à Tunis, sur ce sujet, le président de l'Assemblée nationale constituante, Mustapha Ben Jâafar, a confirmé que l'Assemblée va procéder prochainement à la discussion du projet de loi relatif à la justice transitionnelle, ajoutant qu'il fera de son mieux pour que la commission de législation hâte son examen et procède à sa transmission rapide au bureau de l'Assemblée afin de fixer une date pour sa discussion en séance plénière. Organisé par la Coordination nationale indépendante pour la justice transitionnelle, de concert avec l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) et d'autres partenaires, le Colloque avait pour objet de présenter un ensemble de modifications au projet de loi relative à la justice transitionnelles, proposées par un comité d'experts ayant travaillé à cet effet, à l'initiative de la dite Coordination et ses partenaires dans l'organisation du Colloque. Propositions de modification Ce Comité d'expert comprend des professeurs universitaires, des magistrats et des avocats de renom, savoir Sadok Belaid, professeur universitaire, Mohamed Salah Ben Aissa, professeur universitaire, Néji Baccouche, professeur universitaire, Tawfik Bouderbala, avocat, président de la commission d'enquête sur les abus sécuritaires commis pendant la révolution, Wahid Ferchichi, professeur universitaire, Amine Ghali, Habib Jaballah, Mohamed Ayadi et Wassila Kâabi, des juges administratifs,tous les quatre, Fayçal Arabi, juge militaire, Amor Oueslati, juge civil, Ayachi Hammami, Anouar Bassi, Naziha Boudhib et Charfeddine Kallil, avocats tous les quatre. Aussi, le président de l'Assemblée constituante a-t-il promis de prendre en considération les avis de ces éminents experts. En effet, selon les intervenants, le projet de loi relatif à la justice transitionnelle est satisfaisant mais nécessite des améliorations et des enrichissements afin d'être au niveau des attentes et répondre aux normes internationales. Outre le président de l'Assemblée constituante, ont pris la parole, également, les auteurs respectifs de l'initiative dont le président de la Coordination nationale indépendante pour la justice transitionnelle, Amor Safraoui, qui a estimé qu'il appartenait, en principe, à l'Assemblée constituante conformément à l'article 24 de l'organisation provisoire des pouvoirs publics d'élaborer la loi relative à la justice transitionnelle de concert avec la société civile et non pas au gouvernement et encore moins au ministère des droits de l'homme et de la justice transitionnelle.. Il a rappelé que la Coordination nationale pour la justice transitionnelle avait mis en garde contre la mainmise du gouvernement sur le processus de justice transitionnelle et sa politisation au service d'intérêts partisans. D'autant que l'appareil judiciaire ne s'est pas complètement émancipé de la domination du pouvoir exécutif, qu'il s'agisse de la justice militaire ou de la justice ordinaire et civile. Il a signal que la justice militaire venait de condamner les meurtriers du martyr Hachémi Mohamadi à deux mois de prison avec sursis. La justice civile ne s'est pas libérée non plus du pouvoir exécutif comme le prouvent les mesures de révocation légalement infondées, prises par l'ancien ministre de la justice à l'encontre d'un nombre de magistrats, parallèlement au non respect de la décision d'élargissement d'un certain prisonnier prise, dernièrement, par la Cour de cassation. Lacunes Mr Safraoui a dit regretter que le nouveau ministre de la justice n'ait pas pris de mesures pour corriger cette position, critiquant, par ailleurs, la marginalisation de la société civile dans la mise en place des mécanismes de la justice transitionnelle , et exprimant l'inquiétude de voir s'installer une justice transitionnelle parallèle comme l'attestent les mesures d'interdiction de se rendre à l'étranger prises à l'encontre de certains hommes d'affaires. Il a ajouté que la Coordination nationale pour la justice transitionnelle demeure attachée à sa revendication relative à la suppression du ministère des droits de l'homme et de la justice transitionnelle et préconise de confier la gestion de la justice transitionnelle à l'Instance de la vérité et de la dignité dont la création est stipulée dans le projet de loi à condition que ses membres soient désignés par voie d'élection. Il a noté que cette loi serait inutile si les membres de cette Instance sont choisis sur la base de l'inféodation et de l »appartenance politique, ce qui entrainerait l'instrumentalisation de la justice transitionnelle. Mustapha Ben Jâafar a reconnu , de son côté, la necessité de préciser davantage certains aspects de la la loi comme la relation entre l'Instance de la vérité et de la dignité et les autres sructures et mécanismes intervenant en matière d'application des dispositions de la justice transitionnelle, qualifiant la mesure d'interdiction priseà l'encontre de certains hommes d'affaires d'inacceptable. Immunisation inutile Le représentant du centre Al Kawakibi pour les transitions démocratiques, Amine Ghali, a signalé que beaucoup de mesures ont été prises qui vident la justice transitionnelle de sa substance , mettant en garde contre la fragmentation de la justice transitionnelle et son instrumentalisation à des fins partisanes. Il a estimé que la loi de protection ou d'immunisation de la révolution fait un mauvais double emploi avec celle de la justice transitionnelle qui est plus globale de sorte que la loi de protection de la révolution n' a aucun sens ni aucune raison d'être. Le représentant de l'UGTT, Kacem AFIA , a estimé, lui aussi, inutile l'adoption d'une loi de protection de la révolution à coté de la loi relative à la justice transitionnelle qui est plus complète, émettant l'espoir que l'avis de la société civile sera prise en considération à sa juste valeur. La présidente de l'Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat, Mme Widad Bouchemmaoui, a mis en garde contre la transformation de la justice transitionnelle en règlement de compte et en une criminalisation collective en s'acharnant sur un bouc émissaire en particulier, réclamant davantage de précision et de diligence dans la gestion de la période de transition de manière à assurer de meilleures conditions favorables à la relance de l'économie nationale. Elle a annoncé qu'une grande conférence sur l'impulsion de l'économie va être organisée, samedi 11 mai, au siège de l'UTICA , rappelant le refus opposé par son organisation aux mesures d'interdiction prises à l'encontre de certains hommes d'affaires qui se sont trouvé lésés à la suite de ces mesures, réitérant son appel à leur remplacement par d'autres mesures moins coercitives. Sont intervenus, aussi, Mme Najet Ben Salah, représentante du PNUD à Tunis et Mr Dimiter Chalev, représentnat du haut Commissariat des Nations Unies pour les droits de l'homme , qui ont affirmé le soutien de leurs organisations respectives à l'effort déployé par la Tunisie en vue de la mise en place d'une justice transitionnelle propre à favoriser, en définitive, la réconciliation de la Tunisie avec son passé, une fois qu'auront été satisfaites les exigences inhérentes à ce processus , c'est à dire la recherche de la vérité sur les violations des droits de l'homme, le jugement des coupables, dans le respect de la loi et des principes consacrés, et enfin la réparation des victimes.