Créée après la révolution par un groupe de bénévoles, l'association « Femmes montrez vos muscles » aide à la création de l'emploi dans le milieu artisanal en Tunisie, en formant les femmes artisanes des régions les plus démunies, à l'élaboration de différents projets. La noble action que mène cette association depuis plusieurs mois, a-t-elle donné ses fruits ? Sadika Keskes, à la tête de « Femmes, montrez vos muscles », nous donne ici un aperçu sur le travail mené jusqu'ici, non sans un constat amer sur la situation en Tunisie en général. Le Temps : cela fait plus d'un an que votre association « Femmes, montrez vos muscles » sillonne le pays et particulièrement dans les régions pauvres pour mener une action liée au travail des métiers d'art ; pourriez -vous nous éclairer davantage sur l'objectif de votre association et ses projets réalisés jusqu'à ce jour ? Sadika Keskes : en effet, cela fait exactement un an et trois mois que l'association « Femmes, montrez vos muscles » a été créée par un groupe de bénévoles de Tunis dont Sadika Keskes, Fawzia Sahli, Fatma Kammoun et d'autres, des régions de l'intérieur comme Aziza Mansouri, Abdelbaki Idoudi, et Mohamed Amri. Nous effectuons tous les mois et parfois deux fois par mois, des allers- retours entre Tunis et ces régions qu'on a toujours appelées au temps du président déchu, « des zones d'ombre » : Foussana et ses environs (Birinou, Layoun), Redeyef et Om Laarayes, le Kef et Hidra, Sidi Bouzid et Lassouada, Nefta, Tozeur… Notre mission consiste au début à réhabiliter les métiers d'art et accompagner les artisanes en détresse, puis on a constaté que les problèmes sont beaucoup plus profonds et qu'ils touchent des secteurs très sensibles comme celui de l'agriculture, aux côtés d'autres difficultés d'obtention de crédits auprès des banques, à cause d'une défaillance dans le système d'investissement. Après maints contacts avec les régions concernées, on a commencé par réaliser un projet pilote à Foussana avec l'exploitation de dix hectares de terre et le creusement d'un puits qui va permettre à une trentaine de familles d'avoir accès à l'eau potable. Remarque, toutes ces régions ont des problèmes d'eau et à titre de rappel, sous l'ancien régime, on y a creusé un puits qui n'a fonctionné que durant une quinzaine de jours ; un haut responsable de cette localité a décidé de le sceller suite à l'incapacité des villageois de payer un pot de vin. Ce qui a obligé les habitants de faire 15 km à pieds ou à dos d'âne à la recherche de l'eau potable. Une enquête est en cours pour la réouverture du puits…Or, comment voulez-vous qu'une révolution puisse réussir dans un pays où les gens ne trouvent pas encore de quoi se nourrir ou boire, c'est scandaleux ! *Votre association a-t-elle fait appel à des sponsors pour mener à terme ses projets ? -Il faut dire que l'UBCI a sponsorisé une action de production de tapis à Birinou. L'organisme allemand a quant à lui, subventionné à Sidi Bouzid, l'accompagnement solidaire des femmes dans le but de créer une coopérative d'artisanat, sans oublier l'aide de l'IFT, (Institut français de Tunisie) pour monter des expositions de mise en valeur de nos produits. *Vous travaillez actuellement sur une échelle plus globale, en jouant sur plusieurs secteurs. Pourriez- vous nous en dire davantage ? -Justement, au bout d'une longue expérience sans répit, on a compris qu'il fallait opter pour des opérations globales en touchant à plusieurs secteurs : artisanat, agriculture, tourisme alternatif, industrie, environnement, culture, etc… On a voulu créer un village modèle avec Foussana en tissant des liens entre la population locale et d'autres Institutions et en poussant des jeunes à fonder des associations dont l'association du développement régional de Foussana. *Au mois de juin dernier, vous avez accompagné TV5 pour un reportage sur la Tunisie dont le portrait actuel est teinté de grisaille ! Quel est le constat ? -Oui, c'est dans le cadre de l'émission « Terre et ciel » qui sera diffusée au mois d'août prochain que la chaîne TV5 est venue faire un reportage pour rendre compte de cette dynamique culturelle de la société à travers l'art du verre soufflé , en visitant le centre Sadika à Gammarth, et en accompagnant le combat de « Femmes, montrez vos muscles ». On s'est retrouvés alors à Foussana durant une journée de tournage, précisément à Birinou. L'équipe de TV5 a filmé les tisseuses et les fileuses ainsi que l'état des lieux du village. Le constat était amer ! Les femmes qui, en travaillant la terre, percevaient la somme de 8d, n'en gagnent actuellement que 5d ! Le phénomène d'exploitation pour les femmes ne fait que perdurer et s'accentuer…une sorte d'esclavage !!! Autre problème, celui de l'eau dont sont privés les habitants des régions pauvres du pays. Nous savons que l'accès à l'eau potable est un droit pour tous les citoyens sans distinction aucune, donc à mon avis, il y a des urgences après l'euphorie d'une Révolution ; assurer une vie digne à la population au lieu de se bagarrer pour les postes au pouvoir. Nous avons usé de tous les moyens pour contacter les autorités (ministres, délégués, gouverneurs…), pour venir en aide à ces régions, mais en vain, toujours pas de réponse. Les gens sont terrorisés de voir un délégué dans la localité de Foussana, par exemple, n'aider que les partisans de son parti au pouvoir … Le temps où on se résignait à se taire est révolu ! C'est ce que les politiques n'ont pas encore saisi ni compris ! Si je reste optimiste, c'est grâce au grand rôle joué par la société civile et surtout par les femmes qui font bouger ce pays. Propos recueillis par : Sayda BEN ZINEB