L'Association des Magistrats de Tunisie a tenu dimanche son conseil national, le dernier avant le mouvement des magistrats qui doit être effectué courant cet été. Encore une fois les soucis d'indépendance et de conformité aux normes internationales dans les pays où la magistrature est indépendante, ont primé. C'était aussi, une occasion pour dénoncer un avis pris par l'instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois privant les magistrats du droit de voir leur instance de la magistrature consultée dans tout projet de loi les concernant. Raoudha Karafi, présidente de l'Association des Magistrats de Tunisie (AMT) a indiqué dans une déclaration au Temps que l'instance de la magistrature est la première institution qui consacre l'indépendance de la justice. « Le mouvement qui va être opéré dans le corps de la magistrature doit entrer dans le cadre de la réforme de la Justice », affirme la présidente de l'AMT. Au cours du conseil national, les magistrats ont insisté pour que l'instance judiciaire soit consciente de son rôle et qu'elle est un des maillons de la chaîne de réforme de la justice dans son volet attribution des responsabilités à la tête des tribunaux ainsi qu'au niveau des procureurs de la République. Ces nominations sont déterminantes dans le rendement des tribunaux. « Après la Révolution, il est nécessaire que chaque changement de responsable à la tête de n'importe quelle institution se fasse en se conformant aux critères de probité, neutralité, indépendance et compétence. C'est le point de départ de la réforme de la justice qui doit offrir au pays une justice équitable, honnête et neutre. L'instance judiciaire doit en être consciente. Un président de tribunal ou un procureur de la République va contrôler le respect de ces critères au sein du tribunal », précise Raoudha Karafi. Pour réaliser cet objectif, l'instance judiciaire doit se baser sur des considérations objectives. Elle doit disposer d'une base de données sur tous les magistrats à l'instar de ce qui se fait dans les pays où l'indépendance de la justice est consacrée. Une commission devra réunir les données nécessaires sur les magistrats concernés par les promotions. Leurs compétences, intégrité et neutralité doivent être établies par cette commission. Le plus compétent et le plus clean sur le plan moral est prioritaire. Ce genre de commissions recueille des données sur le magistrat, ses rapports avec les justiciables, les avocats, les secrétaires des tribunaux, ses collègues, sa manière de gérer et de diriger les séances, d'établir ses jugements... Les dossiers des magistrats dans l'inspection générale, doivent être consultés, pour éviter les soupçons. Un autre point a attiré l'attention des magistrats, celui du maintien après l'âge de la retraite de certains hauts magistrats. Les participants au conseil national de l'AMT, ont expriméleur refus de cette pratique. Cinq membres de l'instance judiciaire sont proches de la retraite et sont concernés par ce genre de mesures. Les magistrats réfractaires à ce genre de pratiques, estiment que le maintien affaiblit l'indépendance du magistrat. Il est décidé par le chef du Gouvernement et incite le magistrat à montrer patte blanche. En plus c'est une mesure discriminatoire. Celui qui a la sympathie du pouvoir en bénéficie. Celui qui n'est pas proche du pouvoir en est privé. Nombreux hauts magistrats siégeant dans les instances constitutionnelles se voient ainsi alléchés par la possibilité de maintien. C'est un moyen permettant au pouvoir de mettre la main sur ces instances. « Nous avons demandé à l'instance judiciaire d'exprimer sa position officielle au sujet du maintien. Elle est légalement responsable de l'indépendance des magistrats », rappelle la présidente de l'AMT. Par ailleurs, la question de l'information et de la communication a intéressé les participants au conseil national de l'AMT. L'instance judicaire a été élue par les magistrats. Elle doit leur rendre compte de ce qu'elle fait. Or cette instance manque de visibilité. L'information est très importante. Dans un régime démocratique, l'information est un droit. Aujourd'hui, les porte-paroles des tribunaux sont des assistants de procureurs de la République qui sont nommés par le ministère de la Justice. Une justice indépendante doit disposer d'une information indépendante. Les magistrats demandent d'organiser autrement l'information, en créant des services d'information sous l'autorité des présidents des tribunaux. Ces services doivent se constituer sur la base de la transparence. Des magistrats y présentent leur candidature et le plus compétent y sera désigné. Ils doivent bénéficier d'une formation dans le domaine de l'information judiciaire. Une motion spéciale a été adoptée par les participants au conseil national. C'est une pratique rare dans les travaux des conseils nationaux de l'AMT. Cette motion concerne l'affaire 2014/05. Dans cette affaire l'instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois a émis son avis sur le rôle consultatif de l'instance du pouvoir judiciaire. Selon l'article 2 de la loi qui a créé cette instance, elle doit être consultée dans tous les projetsde textes de loi concernant la justice. L'instance de contrôle de la constitutionnalité des lois a estimé que cette consultation n'est pas obligatoire. C'est la grande déception chez les magistrats. Ils rappellent que l'article 148 des dispositions transitoires de la Constitution, stipule que l'instance provisoire de la magistrature poursuit ses activités y compris donc, la consultation en plus de ses prérogatives de base. L'obligation de la consulter a été érigée au niveau de la garantie constitutionnelle. C'est ce qui est pratiqué dans tous les pays à justice indépendante. La consultation est obligatoire même si le pouvoir n'est pas tenu de la respecter. « Nous avons attiré l'attention sur les dangers consécutifs à cet avis de la l'instance de contrôle dela constitutionnalité des lois. Il générera la marginalisation du pouvoir judiciaire », prévient Raoudha Laâbidi. L'instance de contrôle de la constitutionnalité des lois n'a fait que porter un coup dur à une garantie constitutionnelle qui concerne l'indépendance de la justice. « Plus on consulte des instances pour examiner la conformité d'un projet de loi à la constitution, mieux ça vaut », conclut la présidente de l'AMT.