Alors que les Journées Cinématographiques de Carthage (JCC) 2014 se tiendront du 29 novembre au 6 décembre et augurent d'une 25ème édition riche en émotions, un réalisateur tunisien s'insurge de ne pas voir son film sélectionné. Il s'agit de Moncef Barbouch et de son film « Conflit » qui retrace le vécu et le calvaire des prisonniers politiques à l'ère de Ben Ali. Le réalisateur qualifie cette décision d'injuste et d'arbitraire. Interrogés à ce sujet lors de la conférence de presse des JCC, les organisateurs affirment que des commissions indépendantes ont visionné tous les films dont les candidatures ont été déposées à temps et ont fait leurs choix en toute impartialité mais qu'il était impossible de délivrer un justificatif pour chaque refus, vu le nombre important d'oeuvres proposées. Pour la catégorie « films tunisiens », le comité de sélection est composé de Khemaïs Khayati, Emna Kalleli et Slim Ben Cheikh . Torture, menaces, agressions sexuelles, mise à tabac, interrogatoires musclés, assassinats, rapports familiaux tendus... Le long métrage « Conflit » relate, crûment et sans détours, la souffrance endurée par les prisonniers politiques opposants au pouvoir, toutes appartenances politiques confondues et plus particulièrement celle d'un professeur islamiste qui a vécu les affres de la torture et de l'emprisonnement dans les geôles de Ben Ali ainsi que celle de sa famille qui a subi, pendant de très longues années, un harcèlement tant physique que psychologique. Le film revient également sur les conflits relationnels que rencontrent les prisonniers politiques avec leurs enfants et leur difficulté à s'imposer en tant qu'autorité parentale une fois de retour à la maison après une trop longue période d'incarcération et donc d'absence. L'histoire débute le 7 novembre 1987 et se termine le 14 janvier 2011. Le personnage principal est incarné par Salah Jeday. Etrangement, dans certaines scènes et l'effet de lumière aidant, l'acteur, une fois devenu âgé, ressemble fortement à Hamma Hammami avec sa chevelure ébouriffée et sa moustache. D'autres acteurs de renom ont incarné des rôles plus ou moins importants, dont Halima Daoued, Hichem Rostom, Hassine Mahnouch, Lamia Omri et Slah Msaddak. En réalisant ce film, Moncef Barbouch affirme avoir concrétisé un de ses rêves les plus chers. Le réalisateur, résidant au Canada et ayant étudié le cinéma au Caire s'est spécialisé depuis un moment dans les longs métrages et les documentaires retraçant l'histoire des mouvances islamistes et a notamment réalisé « L'aube n'est-elle pas proche? » et « Tunisie 87 ». Barbouch ne renie pas sa sympathie et son attachement aux mouvements islamistes ainsi que son appartenance à ce courant de pensée. Il insinue d'ailleurs que là réside la vraie raison pour laquelle son film n'a pas été sélectionné pour cette édition des JCC 2014 et ajoute qu'il aurait pu être projeté en marge de la compétition officielle. Il dénonce ainsi une censure basée sur ses opinions politiques personnelles, d'autant plus que bon nombre de professionnels ont jugé le film techniquement réussi. La torture, un phénomène pérenne en Tunisie Diffusée sur les réseaux sociaux, la bande annonce du film « Conflit » a aussitôt créé le buzz. Largement partagée, elle a réussi à capter l'attention des internautes. Loin de les rebuter, l'extrême violence et la brutalité de certaines scènes dont celles de torture ont aiguisé leur curiosité. Nombreux sont ceux qui attendent sa sortie dans les salles de cinéma. C'est dire que la torture est un sujet qui, à la fois, terrorise et fascine les Tunisiens. Banalisée pendant l'ère Ben Ali tout en étant un sujet tabou, tous les prisonniers d'opinion et leurs familles y ont malheureusement goûté et nombreux sont ceux qui sont morts entre les mains de leurs bourreaux. Le régime tunisien était d'ailleurs réputé par son inventivité et sa créativité en matière d'outils et techniques de torture. Depuis la révolution, les institutions officielles affirment que ce phénomène a presque totalement disparu et le porte-parole du Ministère de l'Intérieur, Mohamed Ali Aroui, évoque à chaque nouveau cas médiatisé de torture, un « acte isolé ». Pour sa part, Radhia Nasraoui affirme, preuves à l'appui, que ce fléau est encore largement répandu en Tunisie. L'avocate et infatigable militante des Droits de l'Homme a d'ailleurs été élue, le 23 octobre dernier, membre à la Commission de lutte contre la torture des Nations Unies. Quant à Amnesty International, l'organisme qui défend les Droits de l'Homme salue en Tunisie un certain progrès constaté vers l'interdiction de la torture dans la législation tout en pointant du doigt les difficultés rencontrées pour appliquer la loi. De son côté, Juan E. Méndez, rapporteur des Nations Unies, a déclaré en juin dernier: « La torture perdure en Tunisie malgré la volonté clairement affichée des autorités de mettre fin à cette pratique largement répandue sous le régime de Ben Ali. » Il a également salué la création de l'Instance Vérité et Dignité, chargée de faire réussir le processus de la justice transitionnelle et notamment de recenser tous les cas d'abus commis à partir de 1955. A noter que l'Assemblée Nationale Constituante a voté, le 9 novembre 2013, la création de l'Instance Nationale de prévention contre la torture. Cette institution a pour mission de contrôler, au cours de visites surprise, tous les lieux d'incarcération (prisons, postes de police, hôpitaux psychiatriques, poste de police de l'aéroport...) en Tunisie pour traquer tous les cas de torture et de mauvais traitements. Faute de candidatures sérieuses et suffisantes, cette instance n'a jamais vu le jour.