Longtemps opprimée et dénigrée du temps de Ben Ali, la société civile a depuis fait sa propre révolution pour s'imposer aujourd'hui comme une puissante force indépendante et efficace mais aussi comme un solide bouclier pour prévenir tout risque de dérives et de retour à la dictature. Pas moins de 5 000 nouvelles associations ont ainsi été créées depuis 2011 entre caritatives, scientifiques, interprofessionnelles, culturelles, environnementales et autres catégories. Si certaines ont rapidement jeté l'éponge, d'autres s'accrochent contre vents et marées et atteignent à chaque fois leurs objectifs l'un après l'autre. Leur secret de réussite ? Beaucoup de volonté, une bonne organisation et un puissant réseautage mais surtout une équipe de bénévoles dévoués à la tache et qui s'impliquent corps et âme en faveur de la cause qu'ils défendent. Zoom sur les soldats de l'ombre de la société civile. Ils travaillent toujours en coulisse, ne sont presque jamais invités par les médias, apparaissent très rarement dans le cadre et pourtant, ils sont la cheville ouvrière de toute association pérenne. Ils ont entre 7 et 77 ans et chacun contribue à sa façon, même par la bonne parole et le conseil. Beaucoup sacrifient leur temps de repos pour le passer au local de leur association. Ils répondent toujours présent pour une réunion, une collecte d'argent, une session de sensibilisation ou une action sur terrain. Collecter, trier, sensibiliser, balayer, peindre, coller, ranger, danser, chanter, dessiner, essuyer une larme, compatir au malheur d'un SDF, raconter une blague à un enfant malade... Toujours en action, les volontaires ne ménagent aucun effort pour se rendre utiles et faire des heureux là où ils passent. Sont-ils payés en retour ? Certainement pas puisqu'ils sont bénévoles mais se suffisent d'un sourire, d'un « merci » timidement prononcé ou encore d'une tape amicale sur l'épaule. Ils ne cherchent ni argent, ni reconnaissance, ni pouvoir, ni célébrité. Ils sont à la quête d'une récompense plus noble: l'estime de soi. Plus qu'une mission, ils vivent leur volontariat comme une passion. Elèves, étudiants, salariés, mamans au foyer ou retraités, ils font la force de la société civile et la fierté de la Tunisie. Bénévole d'un jour, bénévole de toujours « Devenir bénévole m'a sauvé la vie ! », déclare Rafika Msallem avec beaucoup d'émotion. Elle ajoute: « Après mon départ à la retraite et les premiers jours de plein repos passés, je me suis ennuyée à mort. Je tournais en rond dans la maison. J'ai failli faire une dépression car je ne supporte pas l'oisiveté mais heureusement que ma fille m'a mise en contact avec des amis à elle, membres d'une association. Je me suis vite intégrée au groupe même s'ils sont presque tous beaucoup plus jeunes que moi. Ils me considèrent un peu comme leur maman de coeur et n'hésitent pas se confier à moi s'ils ont des soucis. Ce que je préfère le plus, ce sont les jours d'actions lorsque nous rendons visite aux personnes handicapées que l'association prend en charge annuellement. De voir la joie dans leurs yeux lorsque nous arrivons me comble de bonheur. Nous vivons une si belle aventure humaine et je croise les doigts pour que ça ne s'arrête jamais ! » Pour Mohamed Guirat, devenir bénévole lui a surtout permis de découvrir « l'autre facette » de la Tunisie et d'ouvrir les yeux sur une réalité désolante. Il explique: « Je me rappellerai à jamais de ce 13 mars 2011 où j'ai pour la première fois de ma vie participé à une action de volontariat. Nous nous sommes réunis à 6h du matin devant la coupole d'El Menzeh et nous sommes partis en direction du nord-ouest tunisien. Une première pour moi qui habite à Gammarth ! Au bout de trois heures et demi de route, nous avons quitté la ville et pris des sentiers battus et c'est là que je me suis cru projeté dans une autre dimension. La misère que j'ai vu de mes propres yeux était indescriptible alors j'ai pris des photos, beaucoup de photos. J'étais sous le choc ! Mais j'ai aussi retenu le bonheur et la reconnaissance dans les yeux de ceux à qui nous avons apporté de l'aide. Depuis ce jour, j'ai participé à beaucoup d'autres actions avec plusieurs associations, même si je dois l'avouer, les études puis maintenant le travail m'empêchent de m'impliquer à 100%. » Ines Mouhli est, elle aussi, bénévole au sein d'une association de bienfaisance qui vient en aide aux enfants démunis. Elle témoigne: « J'ai toujours voulu faire partie d'une association caritative mais j'ai longuement hésité à franchir le pas. En devenant bénévole, je voulais contribuer un tant soit peu à aider des enfants défavorisés, à leur redonner le sourire et à faire en sorte d'illuminer un peu leur vie. Mais je me suis vite rendue compte que ce sont les enfants dans le besoin qui m'ont aidée à me découvrir et qui ont illuminé ma vie Chaque action entreprise m'a permis de partager des moments qui resteront à jamais gravés dans ma mémoire car remplis d'émotions. C'est une expérience très enrichissante et je suis extrêmement fière d'appartenir à cette association. » Pour Sami Boughrara, le bénévolat est un « bon » virus dont on ne plus se débarrasser une fois qu'on l'a attrapé. Il déclare: « Je suis bénévole parce que j'aime relever des défis et le volontariat en est un. Chaque action est unique. Chaque déplacement, chaque personne que je rencontre et chaque endroit que l'on visite le sont aussi. Mon association compte des hommes et des femmes de tout âge. Avec les filles de l'asso, nous sommes complémentaires. Elles sont le cerveau et nous sommes les muscles, le tout bien sûr dans la bonne humeur et le respect mutuel. Nous passons parfois des weekends entiers à collecter, trier, empaqueter les dons. Nous portons parfois des cartons tellement lourds qu'il faut se mettre à quatre pour les lever de terre. Mais c'est tellement bon de se sentir utile ! Ca fait trois ans que ça dure et on ne peut plus s'en passer et comme on dit à l'asso, bénévole d'un jour, bénévole de toujours. » La thérapie du bonheur Le bénévolat, c'est donner de soi sans rien attendre en retour. Selon l'avis de tous, adhérer à une association permet de vivre de belles aventures humaines, riches en émotions. Cela permet aussi d'acquérir de nouvelles compétences aussi bien relationnelles qu'organisationnelles. Le volontariat est le premier pas vers une citoyenneté responsable et engagées. Beaucoup d'acteurs de la société civile appellent d'ailleurs à ce que des séances d'initiation au bénévolat soient organisées dans les établissements scolaires primaires et secondaires, en plus du cours d'éducation civique. Sur un tout autre volet, le bénévolat est aussi un excellent moyen de décompression mais aussi d'épanouissement personnel. Etre volontaire permet d'avoir plus d'assurance et une meilleure estime de soi. Se percevoir soi-même comme une personne positive et utile pour les autres est une excellente thérapie du bonheur. Une thérapie tellement bénéfique et surtout gratuite, qui ne nécessite alors pourquoi s'en priver ?