Un essai qui remet les pendules à l'heure ou controverses en perspective? Délaissant pour un temps ses domaines de prédilection, Mohamed el-Aziz Ben Achour fait paraître ces prochaines semaines un essai aux éditions Erick Bonnier en France. Intitulé "l'excès d'Orient", ce livre a pour sous-titre "La notion de pouvoir dans le monde arabe". L'ouvrage de 380 pages sera en librairie fin janvier et sera présenté aussi bien à Tunis qu'à Paris. La crainte d'un échec de la modernité politique Historien, spécialiste de la civilisation islamique, Mohamed el-Aziz Ben Achour est plus connu pour ses recherches dans l'univers du patrimoine que ses approches dans le domaine politique. Celui qui fut successivement ministre de la Culture en Tunisie puis directeur général de l'Alecso signe toutefois un essai qui devrait agiter bien des idées. Dans "L'excès d'Orient, Ben Achour tente de répondre aux nombreuses interrogations qui taraudent le public confronté à une actualité sanglante. L'argument de son ouvrage est limpide: que peut-on retenir des révolutions arabes de 2011? Et surtout, qu'est-ce qui prévaudra comme modèle dans le proche avenir? Seront-ce les timides avancées de la démocratie en Tunisie? Ou plutôt le retour de l'armée en Egypte? Ou encore un chaos généralisé à l'image des tragiques événements en Libye, en Syrie ou en Irak? C'est la crainte d'un nouvel échec de la modernité politique qui constitue la trame de cet ouvrage. Accentuée par le sanglant activisme des djihadistes qui prétendent restaurer le califat, cette crainte est aussi sous-tendue par le sempiternel débat sur l'aptitude des pays arabes à s'engager dans la voie démocratique. Pour répondre à ces questions, Ben Achour prend deux chemins différents. D'un côté, il démonte les interrogations actuelles sur la nature des Etats arabes dans le futur. En d'autres termes, il analyse en profondeur la place tenue par l'islam dans le débat politique et utilise ce socle pour apporter des réponses stimulantes. D'autre part, il revient vers l'histoire pour décoder l'actualité. Ben Achour s'intéresse ainsi à trois éclairages qui, conjugués, apportent une compréhension nouvelle aux situations actuelles. Les fondements de l'autoritarisme En premier lieu, l'auteur se plonge dans l'étude des traits constitutifs des pouvoirs politiques dans le monde arabe. Ce faisant, il parvient à démontrer l'omniprésence, depuis le septième siècle, d'une tradition marquée par le despotisme que Montesquieu qualifiait d'oriental. C'est la recherche de cet excès d'Orient - une tare, une surcharge, un handicap?- qui motive cette recherche sur les fondements de l'autoritarisme. C'est le cœur de l'essai, son centre névralgique. Ensuite, Ben Achour étudie avec la même minutie les relations entre le pouvoir et la société dans le monde arabe. Malgré la diversité des régimes et des héritages, l'auteur va découvrir que ces rapports sont marqués par les mêmes constantes et que ces dernières continuent à les structurer. Enfin, Ben Achour analyse les contacts entre les pouvoirs arabes et les puissances étrangères dans la longue durée et parvient à dégager aussi bien leur caractère fécond que les perturbations et destructions qu'ils ont occasionnée. Dans une approche inédite, il pose cette dialectique arabo-européenne en regard des processus de réforme du dix-neuvième siècle et montre son caractère déstabilisant. Pourrait-on dès lors évoquer un défaut d'Occident? Avec "L'excès d'Orient", Mohamed el-Aziz Ben Achour remonte aux sources de certaines équations qui secouent le monde arabe aujourd'hui. Ce faisant, il établit une généalogie mentale de la psyché arabe, avec un regard qui parvient à rester neutre tout en étant parfaitement savant et profondément lucide. Cet essai va bien au delà de l'actualité et, sans s'égarer dans les méandres de la spiritualité et sa compréhension par les musulmans contemporains, remonte à l'origine des choses, aux nécessaires approches ontologique et anthropologique d'une culture. Il est d'ailleurs fort probable que l'ouvrage suscite polémiques et controverses entre les tenants d'une approche du monde arabe enracinée dans la différence culturelle et ceux d'une universalité de l'arabité en proie de nos jours aux derniers soubresauts violents d'une illusion d'autonomie, par delà le temps et par delà le monde. En attendant la sortie et la diffusion de cet ouvrage, ces questions - comme celle de la relation névrotique du monde arabe avec les splendeurs du septième siècle- se posent dans toute leur acuité dans l'actuel débat d'idées. Hatem BOURIAL "L'excès d'Orient - La notion de pouvoir dans le monde arabe" Mohamed el-Aziz Ben Achour, 380 pages, éditions Erick Bonnier