Hier matin, aux alentours du lycée pilote de l'Ariana, la tension était palpable de loin. Il n'était pas encore 7h30 que la foule d'élèves, amassés dans la cour de l'établissement, était déjà impressionnante. Dehors, bon nombre de voitures étaient stationnées pèle-mêle. Les parents, eux, étaient restés dehors, le regard hagards, les sourcils froncés et la mine grave. Pour eux, l'affaire est plus que sérieuse. La scolarité et donc l'avenir de leurs enfants est en jeu et on ne badine pas avec cela ! A 8h, contrairement à leurs habitudes, les élèves, pourtant réputés pour leur discipline et leur rigueur, n'ont pas rejoint leurs salles de classe respectives. Les professeurs boycottent la semaine bloquée ? Eux boycotteront les cours ! Il en est de même dans plusieurs autres lycées, notamment à la Marsa et à El Menzah, où tous les élèves ont unanimement refusé de se rendre à leurs classes et sont longtemps restés dans la cour, discutant des conséquences de cette grève, se posant mille et une questions et n'ayant de réponse à aucune d'entre elles. Ailleurs, certains élèves sont même allés jusqu'à lancer des pierres contre les murs de l'administration et les professeurs. A Sbiba, localité de Gasserine, l'enseignante Souhed El Kouki, a été violemment agressée devant le lycée. Des cas certes isolés mais qui ne font qu'alimenter le malaise et aggraver la situation. Grogne des parents Après un long bras de fer avec le ministère de l'Education, la consigne donnée par le syndicat de l'enseignement supérieur et consistant au boycott de la semaine bloquée aura été suivie par une majorité écrasante de professeurs sur tout le territoire national. Un feuilleton houleux dont les vraies victimes sont les élèves, pris en otage par deux institutions et deux pouvoirs. Pour eux, c'est le flou total. Passeront-ils leurs examens ? Auront-ils leurs notes ? Le deuxième trimestre sera-t-il comptabilisé ? Y aura-t-il une année blanche ? Redoubleront-ils tous ? L'examen national de baccalauréat sera-il maintenu ? Une situation inédite et insoutenable qui plonge élèves et parents dans une angoisse indescriptible. Yosra, mère de deux lycéens, s'interroge : « Le ministère et le syndicat sont-ils seulement conscients de la gravité de la situation et des conséquences désastreuses de leur entêtement ? Qu'adviendra-t-il de nos enfants s'ils ne parviennent pas à un accord ? A force de suivre l'actualité et d'écouter les déclarations contradictoires de chacune des deux parties, nous avons l'impression d'être devenus une balle de ping-pong. Nous sommes à cran ! » Youssef, parent d'un bachelier, est révolté par la situation. Il déclare furieux : « Depuis le début de ce triste feuilleton, nous subissons les caprices des uns et des autres en silence. J'estime que, nous autres parents, avons fait preuve d'une grande patience. Nous n'avons pas réagi aux grèves d'un et de deux jours, bien que cela perturbait grandement les élèves et encore plus ceux qui passent leur baccalauréat cette année. Nous avons trouvé des circonstances atténuantes aux deux parties. Certes, les revendications des enseignants sont légitimes mais les caisses de l'Etat tarissent. Pour moi, les deux parties ont tort et raison à la fois mais c'est à eux de régler leurs conflits en interne et de trouver des solutions. Personne n'a le droit de mettre en péril l'avenir de nos enfants ! Notre patience a une limite et si ce problème n'est pas rapidement résolu, nous allons faire entendre nos voix et notre colère! » Prof, un métier facile ? Pour Saïda, professeur de sciences naturelles et parente d'un lycéen en deuxième année, la situation est encore plus délicate et compliquée. Elle est totalement solidaire de ses collègues mais en tant que mère, elle redoute l'impact de ce boycott. Elle déclare: « Je suis prise entre le marteau et l'enclume et ma position n'est pas du tout confortable. Pour la première fois de ma vie et en seize ans de carrière, je suis tiraillée entre mon devoir professionnel et ma vie personnelle. Mais je suis décidée à aller de l'avant et à appliquer les consignes de notre syndicat jusqu'à obtention de nos droits. Aujourd'hui, nous subissons les foudres de l'opinion publique et sommes sujets aux critiques les plus virulentes mais un jour, on nous remerciera d'avoir tenu bon et d'avoir sauvé le secteur.» Un avis largement partagé par Salem, professeur de mathématiques, qui s'indigne de la vague de critiques subies par les professeurs. Il déclare: « J'invite tous ceux qui nous raillent et s'offusquent de nos revendications de s'essayer au métier de professeur. Ceux qui nous accusent de traitrise savent-ils seulement que nous touchons aux alentours de 900 DT par mois. Ceux qui croient que tous les professeurs assurent des cours particuliers ont tort. Notre prime de rendement ne dépasse pas 31 DT en plus d'une allocation de 7 DT par enfant. Certes nous enseignons 18 heures par semaine mais il ne faut pas négliger le temps que nous passons à préparer les cours ainsi que les examens et à les corriger. Nous touchons, soit dit en passant, une prime d'examens qui n'excède pas 3,75 DT. Ceci, sans oublier les agressions et les violences verbales auxquelles nous sommes continuellement exposés.» Quelle issue ? Une situation compliquée pour tous et encore plus pour le ministre de l'Education, qui passe là son premier vrai examen politique. Face à la pression grandissante et à la grogne montante de l'opinion publique mais aussi des élèves et de leurs parents, Néji Jalloul fléchira-t-il ? Rien n'est moins sûr ! Dimanche soir, le ministre a réfuté avoir ordonné la fermeture des établissements du secondaire en cas de grève. Il a toutefois appelé le syndicat à désigner une nouvelle date pour les examens afin que les élèves soient fixés sur leur sort. Néji Jalloul a également affirmé que le ministère de l'Education était disposé à mener de nouvelles négociations en vue de résoudre ce conflit. Il a toutefois ravivé la tension en déclarant que des journées de travail seront prélevés sur les salaires des grévistes. Quelle issue donc pour cette crise sans précédent ? Les heures et les jours à venir seront certainement déterminants! Des élèves protestent devant le siège de l'UGTT Des élèves de collèges et lycées de Tunis ont organisé, hier, une marche qui a parcouru lesrues et les avenues de la capitale pour dénoncer la décision des enseignants de boycotter la semaine bloquée. Les protestataires, notamment, des lycées pilote deBourguiba, de la rue de Marseille, de la rue de Pacha et Sadiki se sont, ensuite, rassemblés à la place Mohamed Ali devant le siège de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT). Les élèves, en colère, ont crié «Dégage» à l'encontre du syndicat de l'enseignement secondaire et scandé des slogans dans lesquels ils ont dénoncé la décision de boycott de la semaine bloquée ainsi que les tiraillements entre le ministère de l'éducation et le syndicat, estimant que l'élève demeure le seul perdant. Des élèves ont déclaré à la TAP qu'ils ont décidé, à leur tour, de boycotter les cours en signe de protestation contre la décision des enseignants de faire la grève des devoirs de synthèse, faisant savoir qu'ils ont lancé, via les réseaux sociaux, des appels pour le boycott des cours à partir d'hier. Amel, enseignante au lycée pilote de Bourguiba a indiqué que les cours se déroulent, normalement, et que la majorité des enseignants ont rejoint les salles de classe. Par contre, a-t-elle ajouté, la majorité des élèves s'est rassemblée dans la cour du lycée. Elle a ajouté que les enseignants n'ont fait que respecter la décision du syndicat et que les élèves sont appelés à assister aux cours pour mieux assimiler certaines leçons et bien se préparer aux examens. De son côté, Hatem Cherif, parent d'élève a appelé les enseignants à faire prévaloir l'intérêt des élèves, loin des calculs syndicaux étroits. Il convient de souligner que les élèves de plusieurs collèges et lycées tels que les lycées d'Ennasr, Menzah 6, La Marsa et Tunis n'ont pas rejoint leurs établissements pour dénoncer la décision du syndicat des enseignants de boycotter la semaine bloquée.