Le Palais Khereddine accueille jusqu'au 28 mai une grande exposition consacrée à la Troupe de la Ville de Tunis, formation théâtrale historique et première compagnie professionnelle en Tunisie. Soixante ans de parcours de cette troupe sont évoqués essentiellement à travers la photo mais aussi grâce à des costumes, des affiches et des éléments de décor. L'exposition permet ainsi en soixante photos de retracer le parcours de la troupe et les moments forts de son évolution. C'est le photographe Hamideddine Bouali, commissaire de cette exposition, qui a effectué les grands choix esthétiques, iconographiques et historiques qui donnent tout son caractère à cet événement. 128 créations ou la moisson des décennies Les premiers pas de la TVT eurent lieu en 1954 lorsque Hamadi Jaziri fut nommé à la tête de cette compagnie. Cette période expérimentale allait jeter les bases de la troupe mais la véritable fondation n'aura lieu que quelques mois plus tard avec l'arrivée en Tunisie de l'Egyptien Zaki Toulaymat. En effet, Hamadi Jaziri aura juste le temps de créer en 1954 "La vendeuse du pain" que Toulaymat le relevait à la tête de la troupe pour une année pendant laquelle il parviendra à aligner quatre créations. Ce ne sera que plus tard que la TVT connaitra une première période de stabilité avec à sa tête Abdelaziz Agrebi. Ce dernier sera l'incontestable directeur de la troupe de 1955 à 1960 et mènera à bien douze créations parmi lesquelles des oeuvres de Zaki Toulaymat et aussi les premiers essais de Aly Ben Ayed. Avant l'avénement de ce dernier à la tête de la TVT, c'est Hassen Zmerli qui dirigera la compagnie de 1960 à 1963. Il sera celui qui lancera dans le bain les Jamil Joudi, Rachid Gara ou Abdellatif Ben Jeddou. En trois ans, Zmerli permettra à dix créations de voir le jour et confirmera la position centrale de la TVT dans le paysage théâtral tunisien. De 1963 à 1972, Aly Ben Ayed offrira à la TVT une longue période de stabilité et l'enrichissement de son répertoire avec des oeuvres devenues mythiques. En neuf ans à la tête de la troupe, Ben Ayed dirigera 34 créations et permettra aussi à Abdelmajid Lakhal, Mohsen Ben Abdallah et Mohamed Aziza de signer leurs premières mises en scène. Cette époque restée dans les annales de la TVT verra aussi plusieurs collaborations avec Cherif Khaznadar et les troupes françaises les plus prestigieuses. Après une chute, alors que la TVT s'apprêtait à donner "Caligula" à Carthage, Aly Ben Ayed sera amoindri et déclinera jusqu'à sa disparition prématurée. C'est Mohsen Ben Abdallah qui reprendra le flambeau de 1972 à 1975 avec dix créations qui confirmèrent les progrès de Abdelmajid Lakhal et signèrent l'essor de Abdelaziz Maherzi et Bechir Drissi. Moncef Souissi succédera à Mohsen Ben Abdallah pour trois années de 1975 à 1978 et sera à l'origine de 8 nouvelles créations. Après Souissi, la TVT allait connaitre sa première crise véritable et, pendant deux ans, se retrouvera sans directeur. Un quatuor formé de Rachid Gara, Abdellatif Ben Jeddou, Abdelmajid Lakhal et Abdelaziz Maherzi présidera aux destinées de la troupe durant cette période difficile qui sera suivie par l'avénement à la direction de Bechir Drissi, pour la période allant de 1980 à 1983. Avec des moyens revus à la baisse, Drissi parviendra à aligner cinq créations pendant son mandat et ouvrira la voie à une nouvelle période de stabilité. En effet, promu directeur de la TVT à son retour de France, Mohamed Kouka allait stabiliser la compagnie, l'articuler autour d'un nouveau projet et la replacer dans sa nouvelle dimension. Directeur de 1983 à 1996, Mohamed Kouka allait permettre à 31 créations de voir le jour et restera 13 ans à la tête de la troupe. Une nouvelle crise allait suivre qui a failli emporter définitivement la TVT plongée en plein marasme. Apres une traversée du désert de sept ans, la troupe allait enfin trouver un nouveau local et une nouvelle direction. Après des années au Palmarium et au Théâtre municipal, la TVT allait s'installer dans l'ancienne salle maltaise de la rue de Grèce et reprendre ses activités. Pour la première fois, une femme était nommée à la direction de cette prestigieuse compagnie, en la personne de Mouna Noureddine. Directrice depuis 2003, cette pensionnaire de la TVT allait reprendre le flambeau dans des conditions difficiles, avec une troupe quasiment confinée dans l'anonymat. Quels nouveaux moyens pour la TVT? Depuis, Mouna Noureddine poursuit une politique austère mais qui aura permis la naissance de 14 créations dont la dernière "Ultimatum" est actuellement en tournée. Une nouvelle génération d'artistes avait pris la relève, rénové et actualisé le répertoire et dessiné un nouveau projet pour la TVT. Toutefois, cette compagnie semble avoir perdu son lustre d'antan alors que le paysage théâtral est devenu beaucoup plus complexe. Le fait est qu'en tous cas, Mouna Noureddine, qui a fait toutes ses classes à la TVT, va sur sa douzième année de direction et devrait prochainement égaler les mandats de Mohamed Kouka (13 ans) et Aly Ben Ayed (9 ans). L'exposition célébrant les 60 ans de la TVT permet de remonter le temps et mesurer la complexité d'un parcours. Doyenne de nos compagnies théâtrales, la TVT a vu sa position pionnière grignotée par l'évolution du mouvement théâtral tunisien. L'apparition pendant les années soixante de nombreuses troupes régionales dirigées par des créateurs jeunes et dynamiques allait entamer le monopole de la troupe en termes de professionnalisme. Ce fut ensuite la naissance d'un théâtre privé professionnel qui, à partir de 1975, allait davantage marginaliser la TVT et offrir aux forces vives du quatrième art de nouveaux espaces. Quelques décennies plus tard, la naissance du Théâtre national tunisien et la restructuration des troupes régionales en centres d'art dramatique allait poursuivre cette lente mise à l'écart de la TVT, devenue aujourd'hui une troupe comme les autres alors qu'elle fut pendant trois décennies au moins la troupe de référence. Cet anniversaire devrait constituer un moment choisi pour méditer sur le sens de ce passage de témoin de la TVT aux nouveaux acteurs du théâtre professionnel. Bien entendu, l'essor de la langue dialectale ou la decentralisation du théâtre se sont faits au détriment de la TVT. Toutefois, cette prestigieuse compagnie qui semble rentrée dans les rangs pourrait chercher son salut dans la multiplication des sponsors et la recherche d'un nouveau projet. Pour l'heure, la Ville de Tunis, avec son maire actuel M. Seifallah Lasram, continue à porter à bout de bras cette troupe qui continue à attirer d'excellents artistes mais ne parvient toujours pas à mobiliser les moyens matériels de nature à lui permettre de rebondir. Jusqu'à quand...