Des élections gagnées d'avance, un scrutin qui ne mobilisera pas les foules : c'est l'impression qui prévaut en Egypte en cette veille d'élections parlementaires. Ces élections qui débutent aujourd'hui se tiendront en plusieurs étapes, jusqu'au 2 décembre. «Je ne sais pas si je vais voter, ni pour qui. A la campagne, l'idéologie importe peu, mais bien nos intérêts», confie Rabea Mabrouk Rabea, 57 ans, un cafetier de Kom Hamada, village d'une province agricole au nord-ouest du Caire, après un rallye express de la coalition «Pour l'amour de l'Egypte», donnée gagnante. La mobilisation politique, au niveau local, repose beaucoup sur le clientélisme et les loyautés familiales ou tribales. «Une fois élus, les candidats, on ne les voit plus jamais. Pourtant il y a de quoi faire, entre le chômage endémique, l'inflation, les faillites post-révolution. Aujourd'hui le gouvernement rogne ses dépenses : subventions, salaires et pensions. Résultat ? La prison pour dettes», dénonce Rabea. La lutte contre la pauvreté est en effet le thème majeur des candidats en campagne, mais peu expliquent comment ils comptent à la fois continuer à protéger les pauvres et renflouer les caisses de l'Etat. Le gouvernement joue pour le moment sur les deux tableaux, évitant de trancher entre étatisme et modernité. Quant aux candidats aux 596 sièges de députés, ils déclarent leur amour aux électeurs et manipulent peur et patriotisme, répétant que le régime actuel protège le peuple contre les Frères musulmans et le terrorisme. Nombre d'Egyptiens se disent lassés d'élections vides de sens. Les scrutins post-Moubarak (l'ancien dictateur égyptien, resté au pouvoir pendant près de trente ans) des années 2011 et 2012 (amendements constitutionnels, parlementaires, présidentielle, Constitution) ont suscité l'enthousiasme. Mais le résultat de ces votes a été à chaque fois annulé : le Parlement à majorité islamiste a été dissous environ six mois après sa formation, le président Frère musulman a été renversé à l'été 2013 à peine un an après son élection, et une présidentielle a porté au pouvoir le maréchal Abdel Fattah al-Sissi, l'ex-ministre de la Défense, qui a justement déposé son prédécesseur islamiste. Les médias sont conscients de cette fatigue et craignent que la participation soit faible. «Nous parions sur la conscience des Egyptiens et leur participation aux élections», écrivent-ils en trahissant leur inquiétude. L'opposition fait à peine partie du scrutin, par choix ou par manque de moyens. Les partis et listes importants soutiennent le régime, y compris le parti salafiste Nour. Les Frères musulmans sont absents – leur organisation est tenue pour terroriste – et la plupart des cadres sont en prison ou en exil. La coalition «Pour l'amour de l'Egypte» rassemble quantité de figures de l'époque Moubarak ou des membres de leur famille. D'autres se présentent sous différentes bannières – tous soutiennent le régime, mais leurs intérêts personnels s'opposeront, comme ils le faisaient avant 2011. Cela ne décourage pas pour autant les ardents partisans de l'image de stabilité et de grandeur nationale défendues par les autorités. Le parti salafiste Nour, qui s'est aliéné dès 2013 une bonne partie de sa base en soutenant le renversement de Mohamed Morsi (Frère musulaman), risque le fiasco chez les islamistes. Mais il pourrait séduire les partisans du régime à tendance très conservatrice, d'après Stéphane Lacroix, spécialiste de l'islam politique, aussi «Pour l'amour de l'Egypte» met-il en garde contre d'imaginaires candidats Frères musulmans – une manière de diaboliser Nour. C'est pour des questions techniques (inconstitutionnalité du mode de scrutin) que le premier parlement post-révolution à majorité islamiste (Frères musulmans et salafistes) avait été dissous en juin 2012. Cela se passait à quelques semaines des résultats de la première présidentielle post-révolution, qui opposait un ancien du régime Moubarak et un Frère musulman – second tour électoral qui avait déçu tous ceux qui espéraient sortir de la dichotomie de l'ère Moubarak – dictature militaire ou épouvantail islamiste. Cela fait deux ans que des textes de lois, souvent considérés comme liberticides, sont adoptés dans le cadre d'une lutte antiterrorisme très politisée. Le Parlement qui sera constitué au mois de décembre prochain devra les discuter, mais Sameh Seif el-Yazal, à la tête de «Pour l'amour de l'Egypte », a déclaré à Reuters que le Parlement approuverait d'abord et verrait ensuite. Il a aussi déjà fait savoir qu'il s'agirait peut-être d'amender à moyen terme la Constitution actuelle, au cas où le pouvoir législatif serait encore trop encombrant pour l'exécutif.