De toutes les crises qu'a vécues Nidaa Tounes, celle-ci est de loin la plus grave: des milices ont agressé les membres du bureau exécutif du mouvement et son porte-parole avec pour objectif d'empêcher la réunion du BE. Programmée par le président du mouvement, cette réunion devait, initialement, revenir sur la convocation d'une réunion du comité constitutif pour ce mardi. Une invitation ‘musclée' envoyée via un huissier de justice de la part du clan Hafedh Caïd Essebsi. Arrivés sur place, dans la ville de Hammamet, les membres du bureau exécutif ont été empêchés d'accéder à la salle de réunion par des individus armés de bâtons. La police, pourtant présente, est à peine intervenue. Boujemaâ Rmili a été empêché de descendre de sa voiture tandis que la députée Bochra Bel Hadj Hmida a été sauvée in extremis. Pour sa part, le président du mouvement, Mohamed Ennaceur, et le secrétaire-général, Mohsen Marouk, ont dû faire demi-tour pour regagner la capitale. Abeda Kéfi, député du Nidaa, a été enregistré par nos confrères de Mosaïque FM alors qu'il était en communication avec le ministre de l'Intérieur pour l'informer de l'incident et de l'absence de réaction des forces de l'ordre présentes sur les lieux. Réunis dans la réception de l'hôtel, les membres du BE ont écrit et signé un communiqué à travers lequel ils ont tenu Hafedh Caïd Essebsi et Ridha Belhadj pour responsables des violences survenues sur place. Tout en qualifiant l'attaque de fasciste, le communiqué du BE a mis l'accent sur les graves dépassements commis par les adhérents du clan Hafedh et qui tentent de fomenter un coup d'Etat au sein du mouvement. Faouzi Elloumi, vice-président du Nidaa, a même qualifié l'incident d'attaque terroriste tout en assurant que des milices ont été ramenées de la capitale par des bus pour empêcher la tenue de la réunion en question. Ces milices auraient été payées par le clan de Djerba selon Elloumi. Toujours au cours de la même journée, trente-deux députés ont adressé une lettre ouverte au président de la République, Béji Caïd Essebsi lui signifiant leur étonnement quant à sa passivité alors que la situation au sein du mouvement ne fait qu'empirer. Tout en relatant les incidents de violence survenus à Hammamet, les députés appellent Caïd Essesbi à intervenir et à arrêter la guerre déclenchée par son fils et son directeur de cabinet. À cette lettre, le chef de l'Etat a émis une invitation aux députés concernés afin d'en discuter amplement. Moez Sinaoui, porte-parole de la présidence de la République, a appelé tous les membres du Nidaa à ne pas impliquer le président dans les affaires internes du mouvement tout en insistant sur le fait que la présidence se tient à égale distance des différentes parties. Cette déclaration n'a fait qu'empirer la tension du côté du clan de Mohsen Marzouk dont les membres ont estimé que cette position traduit une fuite en avant. Autre son de cloche du côté du camp d'Hafedh Caïd Essebsi : Ons Hattab, députée et pro-Hafedh, a assuré que Mohsen Marzouk a planifié cette supposée attaque avec ses complices afin de nuire à l'image du camp adverse. Le député Abdelaziz Kotti, et à l'issue d'une réunion avec les députés pro-Hafedh, a tenu des propos très graves à l'encontre de Mohsen Marzouk. Ce dernier a été accusé de planifier un agenda qui lui permettrait de prendre le pouvoir et de renverser Béji Caïd Essebsi. Dans sa déclaration, Kotti accuse Marzouk d'être revenu des Etats-Unis d'Amérique avec l'intention de faire main basse sur la présidence de la République. Ridha Belhadj – qui se trouve actuellement à l'étranger – a publié une lettre à travers laquelle il a exprimé son étonnement de se voir parmi les principaux accusés des incidents d'Hammamet. Le directeur du cabinet présidentiel a assuré que tous ceux qui l'accusent d'être derrière les événements de violence n'ont pas de but que de porter atteinte à sa réputation. Belhadj insiste, à la fin de sa lettre, sur l'importance de la tenue d'un congrès national dans les plus brefs délais et ce dans le but de garantir l'intérêt général du pays. La ligne rouge franchie Après les campagnes de diffamations, les insultes en public et les multiples accusations, Nidaa Tounes a fini par en arriver à la violence: après que le mouvement ait été victime de plusieurs agressions physiques visant ses membres – dont entre autres celle survenue à Djerba en 2013 pendant un grand meeting du Nidaa – voici que les deux clans du même parti se réservent le même sort. Des pratiques dangereuses dépassant le conflit interne du mouvement et font poser une question des plus sensibles: si les Nidaïstes se sont tournés vers la violence pour ‘résoudre' un conflit interne, comment réagiraient-ils le jour où ils seront confrontés à des différends avec d'autres tendances politiques? Ce même Nidaa qui s'est imposé en tant qu'alternative face aux islamistes et qui a récolté les voix de milliers de Tunisiens, est-il réellement apte à gouverner en toute transparence et en toute démocratie ? Difficile d'y croire après les événements d'Hammamet... Bochra Bel Hadj Hmida parle d'une rupture et d'une ‘démolition'de la République. La députée estime que Nidaa a été fondé pour faire l'équilibre politique dans le pays et non pas pour donner le pouvoir à un clan dans un parti. Là encore, la question est encore plus délicate puisque la crise altère la solidarité du bloc parlementaire de Nidaa où la menace de division entre les deux groupes commence à se préciser. Au cas où on en arriverait là, tout paysage politique serait à reconstruire. Dans ces conditions extrêmes, il est difficile de rester optimiste et de continuer à croire en la responsabilité et au patriotisme de nos politiciens. Des députés du bloc Nidaa refusent de rencontrer le président de la République Les députés du mouvement Nidaa Tounes à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) ayant adressé, dimanche, une lettre ouverte au président de la République ont refusé de rencontrer Béji Caid Essebsi en présence de ceux qui «usent de violence» en allusion au clan Hafedh Caid Essebsi, a indiqué, hier, le député du bloc Nidaa à l'ARP, Mohamed Troudi. Il a expliqué, dans une déclaration à l'Agence TAP, que le reste des députés et lui-même accueillent favorablement l'invitation du président «tant que celle-ci ne concerne que le groupe qui avait adressé la lettre» et ce, a-t-il dit, par respect à l'institution de la présidence de la République et pour éviter la confrontation directe. Mohamed Troudi a, par ailleurs, expliqué que le groupe ayant adressé la lettre ouverte a examiné, hier, lors d'une réunion tenue à l'initiative du président du bloc Nidaa Fadhel Ben Omrane, la décision d'assister à la rencontre avec Caid Essebsi sauf que ceux-ci ont décidé de refuser l'invitation en raison de «la présence de personnes ayant porté atteinte à la liberté d'expression et empêché la réunion du bureau exécutif». Une menace sérieuse pèse sur l'unité du parti et annonce une division de Nidaa, a déploré Mohamed Troudi, ajoutant que le groupe parlementaire est «déjà divisé par la forme».