Il luttait contre la maladie depuis quelques années déjà. Courageusement. Mais ce n'est pas cela que nous avons envie de garder de lui. Parce qu'il aimait la vie, et savait combien était précieux, chaque moment qui passe, parce qu'il passe justement, et qu'il convient de ne pas le dilapider inutilement, en le laissant s'évider bêtement, sans lui donner sens. Sans profiter du fait, de pouvoir faire les choses, pour les faire. De pouvoir donner forme concrète à ses rêves, afin de se réaliser soi-même, en vivant pleinement, chaque seconde qui passe, chaque minute, chaque heure, pour ne pas avoir à se dire, arrivé vers le soir de sa vie : qu'ais-je fait de ce cadeau qui m'a été donné ? Et ais-je été digne de l'enfant que je fus, devenu plus tard un homme, qui a rêvé, et qui a donné à rêver ? Après quelque cinquante-ans au service du cinéma et du théâtre, ayant marqué la scène artistique tunisienne, depuis sa première incursion dans le domaine, en 1967, l'immense Ahmed Snoussi a tiré sa révérence. Juste à la veille des Journées cinématographiques de Carthage, qui devront désormais compter sans lui. Il n'y a pas si longtemps, au mois d'octobre, les Journées Théâtrales lui avaient rendus hommage, pour avoir rendu son public si heureux. Affaibli, il était cependant magistral ! C'était sa manière d'être, et il lui aura été fidèle jusqu'au bout. Que retenir de lui ? De ses personnages, qu'il a interprétés avec un talent rare, sinon justement, le talent ; et un charisme solaire, qui faisait qu'indéniablement le charme opérait, et qu'on ne pouvait que le suivre, presque les yeux fermés, là où il voulait bien nous emmener. Que retenir ? De « Sejnane » (Abdellatif Ben Ammar), en passant par « Soleil des Hyènes » (Ridha Béhi), « Le prince » de Zran, sans oublier ses passages inoubliables à la télévision, dans le feuilleton « Eddouar », ou « khottab Al Bab », pour ne citer que ces exemples-là, Ahmed Snoussi a su toucher le cœur d'un large public, qui l'a aimé à travers ses personnages, parce qu'il avait le don de paraître, en même temps qu'inaccessible, très proche de lui. Presque solidaire, comme s'il lui faisait un clin d'œil amical à chaque fois, avec sa jovialité parfois bourrue, et sa retenue, pourtant joyeuse. Comme celle d'un enfant malicieux, qui adore accumuler les frasques, sans que quiconque songe à s'en offusquer véritablement. Pourquoi faut-il qu'à un moment donné, tout cela s'arrête ? Sid Ahmed Snoussi, pardon pour ce « voyage » au Kef que je n'ai pas pu entreprendre ; ça aurait été un honneur. Retour initiatique sur les origines, là où tu avais ouvert les yeux au monde, là où tu dormiras, paix à ton âme... Et courage à la « belle Hélène », à tes enfants et à ceux qui t'aimaient. Ils auraient aimé te garder un peu plus longtemps. C'est précieux une vie. Ça passe tellement vite ! Tu vas nous manquer.